L'histoire :
Ville-citadelle, à laquelle on accède par un viaduc surplombant un précipice, Kemlö semble porter en elle toute la force du tragique. Borges aurait comparé son sommet au « nombre zéro, qu’on ne peut jamais atteindre, sinon dans la mort… ». C’est dans la froideur de cette ville de pierres qu’une jeune femme pose sa valise, une après-midi de juillet. En attendant de prendre son poste d’enseignante au lycée de jeune fille, elle y explore ses strates vertigineuses, la vacuité de ses rues et escaliers, et y fait la rencontre du Prince Flakenberg, « bienfaiteur de Kemlö ». En le laissant faire d’elle sa maîtresse, Olga s’offre alors entièrement au destin fatal qui est le sien…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après dix ans de collaboration avec les éditions BDMusic, qui ont vu paraître des albums sur Fred Astaire, Errol Garner ou Count Basie, Michel Conversin s’affranchit de ces vies de célébrités et explore ici la fragilité humaine. Le personnage d’Olga, totalement soumise aux déterminations extérieures et à la puissance d’un fatum qu’elle sent peser sur elle, se laisse ballotter au gré de la perversité de ceux qui l’entourent. Comme dans une nouvelle de Buzzatti, on assiste à la chute tragique, inexorable, de cette femme aux prises avec la noirceur de Kemlö. La ville, mystérieuse, sans situation géographique, est au cœur de cette œuvre sombre, tant dans son style graphique que textuel. La finesse extrême du trait noir – qui rend bien moins honneur aux visages qu’à la scénographie des lieux – dessine avec rigueur le froid de cette pierre et le vide des ces rues. Des motifs, comme les portes fermées, les escaliers, les couloirs, nourrissent autant l’impression d’une humanité manquante que celle d’un avenir empêché. C’est dans un récit très littéraire, sans dialogue – la narration use d’un encadré narratif par case – au style affuté et au rythme d’un gaufrier régulier de 6 cases verticales par planche, que nous emmène Conversin et nous maintient en suspens d’un drame à venir. Les images, qui font œuvre d’illustration, accentuent la sensation d’un siècle passé, où se mêlent sexe et perversité. Lecteurs avides d’atmosphère oppressante, allez-y donc.