L'histoire :
Vers la fin des années 40, Monsieur M., écrivain, effectue un trajet en train jusqu’à une petite ville bavaroise. Il va s’installer et s’isoler dans la partie restaurant d’une taverne et annonce à la serveuse qu’il attend un ami, Toni, un « vieux salaud de communiste ». La serveuse, mademoiselle Lore, est décontenancée par l’attitude étrange de ce vieux monsieur, qui affirme être aux antipodes des nazis. Dans la salle de bar d’à côté, des soldats sont en train de s’enivrer à grands renforts de pintes de bière. En attendant son ami, l’écrivain se met à écrire, une « histoire d’amour, d’innocence et de dépravation en des temps de pestilence ». La serveuse s’intéresse à l’histoire, au point de demander au romancier si elle pourrait y figurer. Monsieur M. commence à lui raconter le contexte : un bar bondé et enfumé, dans les années 30. Des nazis excités et autoritaires entrent et réclament un spectacle sur scène. Un serveur à l’apparence d’un colosse remet un peu d’ordre en faisant éjecter manu-militari les nazis. La soirée cabaret va pouvoir commencer. Les musiciens de jazz débutent leur morceau et la chanteuse Perla fait son apparition, telle une star, dans une somptueuse robe de soirée. Oui, Perla est bien l’alter-ego de la serveuse, qui réclamait un rôle. Cette dernière est ravie de figurer dans l’histoire de M. Mais M. fait virer son récit : la starlette Perla est en fait une camée qui a été sevrée de force et sauvée de la dépravation par une sorte de vieil aristocrate appelé M…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec cette Mauvaise heure, les auteurs Marc Angel et Jean-Louis Schlesser font une variation en forme d’hommage sur le thème de M. le maudit, le chef d’œuvre du réalisateur de cinéma allemand Fritz Lang. Le scénario pose d’emblée l’attente d’un vieil écrivain dans une taverne. Ce personnage écrit un roman, dans lequel il prend plaisir (sournois) à faire figurer et à malmener la serveuse, qui se prend pathétiquement au jeu de cette notoriété tombée du ciel. Ce récit au présent (vers la fin des années 40 ?) est dessiné à l’encre de Chine dans un joli style réaliste qui appuie fortement sur les clairs-obscurs. Il s’entremêle dans un jeu de ping-pong avec des séquences prenant pour contexte le récit au passé de monsieur M., dans un lavis tout aussi réaliste et somptueux, mais accordant bien plus de nuances de gris. Les amateurs de beaux dessins apprécieront la restitution du blanc de la page dans une rambarde d’escalier ou les ambiances brumeuses nocturnes offertes par l’humidité du pinceau. Il faudra d’ailleurs se satisfaire de ce travail d’ambiance « expressionniste », qui force régulièrement l’œil à s’arrêter et se distancier de la trame narrative, car on peine à cerner l’orientation et la finalité du scénario. L’hommage à M le maudit vaut surtout pour l’atmosphère poisseuse et inquiétante, en totale adéquation avec l’œuvre de Lang, bien plus que pour l’histoire, qui n’a rien à voir et demeure quelque peu hermétique.