L'histoire :
Alberto se souvient. Il se souvient de Giulia, qu’il a rencontrée sur une île près de la cité des Doges. Giulia, si belle, qu'il a épousée à Venise, et qui est partie, après deux ans seulement de vie enchanteresse, dans la maison achetée là-bas, emportée par un mal invisible qui guettait depuis longtemps, enfoui. Cela fait maintenant un an, et le vide l'assaille, la peur aussi. Il se souvient qu’il était en train de composer une nouvelle pièce de piano, lui, l'artiste, dont l'inspiration est en berne depuis. Pourquoi la voit-il chaque jour, pourquoi ressent-il cette dualité, entre culpabilité et innocence ? Sans doute parce qu'il a dû accompagner son amour pour abréger ses souffrances. Une dernière composition bien dramatique, dont il a du mal à se délivrer...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On ouvre Nocturne vénitien comme on ouvrirait un bocal rempli d'effluves de lagune vénitienne, ou d'une île paradisiaque justement : car les superbes planches aquarellées nous accueillent avec une tendresse inouïe. Une femme marche le long d'une plage déserte, les mouettes volettent dans le ciel bleu, et la paix semble régner. Seul le texte off, long monologue récitatif et langoureux, décrit un regret profond, donnant le ton si mélancolique de ce poème dessiné. L'auteur, Luca Russo, né en 1974, déjà connu en Italie pour ses romans graphiques Incerte Stanze (2007, Tunué, nommé au prix Carlos Boscarato de Trevise la même année), ou Giardami Piu Forte (2008 Tunué), ainsi que quelques histoires courtes pour Tunué ou Cooper edizioni, n'était pas encore connu des lecteurs français avant cette traduction de son troisième roman graphique : Notte tempo (Tunué 2017) abordant la thématique de l'art et du défaut d'inspiration face au deuil. Il démontre avec évidence son talent d'aquarelliste et de conteur, proposant certes une bande dessinée très illustrative dans la forme, mais dévoilant de superbes cases libres de tout cadre, ainsi que des pleines pages éblouissantes. La mélancolie du récit, quant à elle, surfe sur un côté légèrement fantastique, un peu évidente dès lors qu'on parle de fantômes, même gentils. Elle dépeint un être particulièrement sensible dont on ressent les émotions. Est-ce un souvenir personnel ou un essai réussi ? Toujours est-il que peu resteront insensibles à cette évocation poétique remarquable. Un grand et beau roman graphique, qui fera date dans le catalogue Mosquito.