L'histoire :
Attablés sous un grand chêne, à côté de la tombe de Lincoln, Dieu et le Diable disputent une partie d’échec, éclairés par le soleil rasant du soir. Ils discutent sur l’intérêt du hasard, qui procure un sens à la vie. Et d’ailleurs, puisqu’ils s’emmerdent globalement, Dieu ressuscite Lincoln, afin de remettre un peu de piquant à la situation. Lincoln n’est pas forcément d’accord, il était peinard là-dessous, à six pieds sous terre. Il se venge en plantant Dieu et le Diable dans le monticule de terre dont il a été extrait, puis se barre avec la première charrette venue. On le retrouve au fond d’un bar du Havre, en fronton d’un quai, en train de siroter une bière. Un italien sanguin pénètre dans le bistrot et s’impose à lui en quelque sorte. Il s’appelle Medoro et propose de rentrer avec lui en Amérique, afin d’y faire la révolution ! Car si les prolétaires ont réussi, en Russie, à se mobiliser et s’organiser pour renverser les patrons, les curés et la noblesse, il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas aux USA. Ils se saoulent la gueule ensemble et scellent ainsi leur amitié et leur grand projet. Dès le lendemain, les voilà engagés comme machinistes sur un paquebot pour faire la traversée jusque New York…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Anciennement cow-boy, Lincoln est avant tout un jouet entre les pattes de Dieu et du Diable, qui expérimentent à travers lui différentes voies de vie, confrontées aux affres de l’Histoire. Car ce qu’il y a de pratique lorsqu’on peut tricher avec les règles de la métaphysique – ce qui est le cas du métier de scénariste – c’est qu’on peut tuer son personnage, le ressusciter et l’envoyer à peu près où et quand on veut… même après 5 ans d’absence. En un prologue de 3 planches, Olivier Jouvray remonte donc son héros de six pieds par-dessus terre, et l’implante dans les années 1920, pour qu’il se confronte aux idées anarchistes du côté de New York. Car vouloir faire la révolution pour un monde meilleur, débarrassé des patrons profiteurs, c’est certes une belle idée… mais faut-il en passer forcément par des actes violents ? Et ainsi imposer son idée sociale aux masses pacifistes ? Medoro résume sa philosophie : « C’est au peuple de conquérir sa liberté, à grands coups de baffes dans la gueule s’il le faut ». Lincoln n’est pas forcément d’accord, mais il est du genre « open », surtout s’il peut en profiter pour picoler et tripatouiller de jolies fesses. Alors sous les crayons humoristiques de Jérôme Jouvray et les couleurs sobres d’Anne-Claire Jouvray, il suit, observe, assiste mollement et contrecarre au besoin les projets d’attentat d’une révolution qui pédale dans la semoule. Au passage, entre chaque action foireuse, la famille Jouvray nous gratifie de nombreux palabres, intéressants mais pas trop sentencieux non plus, sur le sens de la politique et la définition de la liberté.