L'histoire :
Au fil de ses promenades dans sa ville de G, après le travail à l'usine pétrochimique, le narrateur (dont le nom n'est pas indiqué mais dont on comprend qu'il n'est autre que Jean-Pierre Levaray, auteur du livre A quelques pas de l'usine) rencontre une série d'habitants de la ville, ou dépeint le portrait de ceux qui ont marqué son enfance. Le vieil immigré qui aimerait pouvoir continuer à envoyer de l'argent au pays ; la jeune fille allumeuse, désespérément en quête d'un peu de chaleur humaine ; le tagueur fou qui nargue la police… Tous ont marqué l'auteur et lui ont fait percevoir les limites de leur condition, ainsi que la difficulté de sa propre démarche : comment raconter ces vies sans pouvoir leur apporter l'aide qu'elles semblent parfois attendre de lui. Une série d'histoires courtes qui jonglent entre passé et présent, pour donner un portrait sensible et triste de la condition modeste de ces hommes et femmes. Une litanie de sentiments mitigés d'un auteur sensible mais impuissant à changer les choses, riche surtout de sa conscience sociale…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Noir c'est noir, et l'espoir ne pointe nulle part dans cet album adapté d'un livre de Jean-Pierre Levaray, ouvrier et syndicaliste d'une usine pétrochimique de la banlieue Rouennaise. Dans la veine directe de leur précédente Putain d'usine, le duo d'auteurs remet le couvert, avec un recueil de nouvelles d'un pessimisme à toute épreuve. Toute lueur optimiste semble en effet bannie, à l'exception d'une ou deux séquences en demi-teinte. En traçant cette galerie de portraits désabusés, les auteurs approfondissent le contexte de leur précédent opus, sortent de l'usine pour passer du coté de la ville qui l'entoure. Mais là où Putain d'usine donnait à voir des choses inédites en BD, sur la vie de cette fameuse usine vue de l'intérieur, sur la camaraderie au sein des équipes, sur les relations entre ces hommes qui travaillent de nuit, ce nouvel opus manque cruellement d'intérêt. La difficulté à donner une dimension graphique à ces portraits intimes, sans image spectaculaire, se ressent cruellement. A deux reprises, Efix doit recourir à des subterfuges pour tenter de mettre des images sur des nouvelles, désespérément faites pour l'écriture seule : une interminable série de gros plans, qui débouchent finalement sur le visage d'un immigré africain, presque illisible. Très pénible également, cette suite de blocs de textes sur fond d'extraits de tableaux célèbres de Van Gogh ou Millet, gris sur fond noir (au secours, que fait l'imprimeur ?). Le double écueil que ne parvient pas à franchir cet album est là : dans la difficulté de donner l'envie de tourner la page (on se dit qu'on serait plus intéressé par le recueil de nouvelles). Sans compter ce nihilisme absolu et un brin caricatural, pour des personnages qui semblent sortis tout droit du pire roman de Zola, en version contemporaine. La vraie raison d'espérer de cet album, c'est le potentiel de talent d'Efix, dessinateur au style semi-réaliste nerveux et expressif, mélangeant encre et crayon dans un beau noir et blanc. Hélas, il est décidément à moitié à l'aise dans cet environnement trop sérieux et grave…