L'histoire :
« Tel Christophe Colomb baptisant de son nom et de celui de ses potes les pays de tout un continent, ces hommes débordant d’énergie ont colonisé le corps de la femme jusqu’à ses recoins les plus sombres et les plus humides ». Ces hommes : John Harvey Kellog, Isaac Baker Brown, Saint-Augustin, John Money, la « bande des instigateurs de la grande chasse aux sorcières, le baron Georges Cuvier, et « la bande des profanateurs de la tombe de la reine Christine de Suède ». Ces hommes qui, par leurs actes et leurs discours, ont saccagé, du Vème siècle à nos jours, ce que l’on appelle les « organes féminins » ou « sexe féminin ». Ce qu’il convient pourtant de nommer pour ce qu’ils sont : petites et grandes lèvres, vagin, clitoris, vulve… Parties de l’anatomie des femmes, que le regard social au cours de son Histoire, tantôt sanctifie, tantôt annule, humilie, mutile… Cachez cette vulve que je ne saurais voir, coupez ces lèvres qui n’ont lieu d’être, taisez ces règles qui donnent tant de pouvoir. Car bien sûr, tout est affaire de domination, et à fouiller l’Histoire, le patriarcat n’a pas toujours eu ses lettres de noblesse… A bon entendeur !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Lorsque Courbet peint, en 1866, sa toile représentant les cuisses écartées d’une femme lascivement allongée sur un lit, il œuvre en faveur d’un art provocateur, d’une lutte contre la pudibonderie, ainsi qu’au plaisir tout personnel de son commanditaire, Khalil-Bey, diplomate turco-égyptien, puis de Lacan, quelques années plus tard. Le sexe de la femme, cible des regards depuis la nuit des temps, regards d’une société bien vite devenue patriarcale, regards détournés, honteux, concupiscents, grivois, autoritaires, colonisateurs. Cette Origine du monde-là, celle de Liv Strömquist, met également des images, mais surtout des mots, là où ceux de la société font défaut. Femme de radio, diplômée de sciences politiques, elle sait bien le pouvoir performatif du discours. Se représente-t-elle d’ailleurs elle-même dans ce personnage d’oratrice à l’américaine qui guide la démonstration au long du livre ? La jeune suédoise prend, quoi qu’il en soit, les armes de ceux qu’elle attaque, la parole et la science. Si cette conférence est rigoureusement documentée et référencée, elle l’agrémente cependant d’un humour mordant, dynamique, ridiculisant l’adversaire, et articulant des typographies adéquates aux intonations du/des énoncés. Après l’énorme succès en Suède des Sentiments du Prince Charles, sorti en France en 2012, qui décortiquait l’Histoire des relations amoureuses, elle assiège ici celle des représentations du sexe féminin. Alors que nos lointains ancêtres valorisaient la vulve ou la menstruation, l’histoire du patriarcat, notre histoire, n’a eu de cesse d’en ruiner l’existence. Passent ainsi devant le viseur de l’autrice : Freud et ses théories de l’orgasme, le christianisme et sa morale misogyne, les Lumières et leur antirévolution sexuelle, les manuels scolaires et leurs schémas lacunaires… Tout un réseau de discours et d’icônes qui guidèrent et guident encore l’inconscient collectif occidental. Le trait de la dessinatrice, au plus simple, sert une lecture fluide, tandis que le texte, dominant l’espace, écrase l’image, comme pour mieux signifier le pouvoir du verbe sur le corps. A contrario, celui-ci prend sur quelques pages la place que lui confère ses temps historiques de liberté. Œuvre d’éducation populaire, L’origine du monde met en perspective ces discours qui gouvernent nos pensées, nos corps, nos sexualités, en vue d’une émancipation salutaire.