L'histoire :
Coca, en Equateur. Confortablement installé le long du rio Napo, un cigarillo planté au bord des lèvres, Vasco examine la carte que lui a laissé Hector, son compagnon de voyage écrivain. Selon lui, elle devrait mener à l'Eldorado, lieu incertain par essence, prétexte idéal à ceux qui ne savent que chercher. Une jeune femme l'aborde soudain pour lui demander un cigarillo. Elle enchaîne en le mettant en boîte sur son attitude d'aventurier solitaire. Un rapport à la fois joueur et profond s'installe entre eux au fil de leur discussion, puis elle s'en va puisqu'elle est attendue. Lui, replonge dans ses pensées. Lors de son passage à Quito une jeune femme l'avait pris en photo à son insu et c'était là aussi à propos de son attitude « d'aventurier solitaire qui prend la pose en fumant ». Pourtant à l'aise dans la peau de ce personnage, il commence peu à peu à s'essouffler dans sa course vers Juan et se demande s'il ne va pas simplement partir à la recherche de l'Eldorado… mais Hector a une surprise pour lui et elle est de taille ! Dans un bar de la ville, il a rendez-vous avec Claudio, un ami de Juan rencontré par hasard et qui a voyagé avec lui depuis Atitlan, en compagnie de Jürgen, pour faire du commerce d'artisanat. Finalement, Juan, toujours hésitant, décida de partir dans la forêt amazonienne et convainquit Jürgen de l'accompagner, laissant Claudio seul à son business. A partir d'Iquitos, Juan a quitté Jürgen pour s'enfoncer dans la jungle avec le projet d'y rencontrer une tribu amazonienne. Les seules nouvelles que Claudio a eue depuis, ils les a reçues au cours d'un rituel d'Ayahuasca, une décoction hallucinogène locale donnant des visions. Malheureusement, elles lui montraient la tombe de Juan… Fantasmes ou réalités, les visions sont ici considérées comme des informations à ne pas prendre à la légère. Il semble donc que la prochaine étape soit toute trouvée ! Et en compagnie d'Hector, Vasco embarque sur le premier bateau pour Iquitos…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce troisième épisode des Voyages de Juan Sans Terre porte bien son nom. Rio Lobo signifie littéralement « rivière folle » : le ton est donné. La pression s'intensifie au fil des pages et l'agitation gagne le dessin qui perd la constance des deux précédents tomes. Hasard ou coïncidence, pour Américo, alias Laura, alias Napo, alias Capitaine America, cette imprécision du trait ajoute prétexte à quiproquo. La violence gagne Vasco qui commence à perdre pied, désorienté dans cette atmosphère moite et dense. Grâce à Hector, il arrivait à garder un fil qui le reliait à la réalité. Mais dans la jungle tout va changer. La nature hostile ne les épargne pas, ce qui engendre de l'animalité dans les comportements, à la ville comme ailleurs. Cette sauvagerie latente parle maintenant des gens, plutôt que des causes comme dans les deux premiers épisodes. Des thèmes lourds sont abordés, comme la transsexualité, la lâcheté humaine ou l'obstination désespérée, entre autre. Et l'intérêt s'accroît d'autant, parce que c'est de nous tous dont cela parle : le genre humain. La jungle amazonienne et ses rudes coutumes n'a rien à envier à la jungle urbaine dans ses comportements extrêmes. Et pourtant l'humour demeure, en fil rouge, pour dire que la condition humaine est avant tout une comédie. Ça en devient magistral tellement c'est brillant, réaliste et disjoncté. Dans la postface, une fois de plus le sujet est éclairé et les intentions de l'auteur sont cette fois intégralement révélées. Trois axes : le mythe du héros, le colonialisme et le droit des peuples indigènes. Trois thématiques traitées de manière particulièrement créatrice. Et la série prend la tournure d'un écheveau humaniste tout en étant outil d'introspection. Seule l’austérité du graphisme ajoute un peu d'ombre à une œuvre qui porte en elle l'âme d'un chef.