L'histoire :
Son sac sur le dos, un ado prend la route pédestre du bahut. Chemin faisant, il aperçoit Ben Fimming, un autre ado, un voisin d’un an de moins que lui, qui emporte un matelas dans la forêt. Ce curieux manège ne l’iterpelle pas plus que ça. La journée de cours se déroule comme d’habitude : morne. Pendant le sport, il tente de rétablir le lien social avec Sho, son ancien pote. Depuis l’expérimentation d’une drogue artisanale, Sho vit dans un état catatonique et adopte des comportements déviants. Mentalement, Sho n’est plus parmi les hommes et son entourage semble résigné à accepter cet état. Notre ado reste tout de même bienveillant à son encontre. Durant une pause, une fille l’aborde et lui propose directement qu’ils « se voient » le soir-même chez elle. L’ado accepte sans joie. Le soir, il lui offre une plante – abandonnée sur son perron quelques heures plus tôt par Sho. Elle l’invite dans sa chambre, lui offre un verre de vin rouge. Il découvre qu’elle peint, toujours la même chose : des anus en gros plan. Ils matent un film en DVD ensemble, puis il rentre chez lui. Le lendemain, une nouvelle dingue se répand au lycée : Ben Flimming a forcé Léa Shavano à lui faire une pipe. Au moment où le père de la jeune fille retrouvait sa fille déshydratée et attachée au radiateur, Ben se suicidait sur un matelas dans un champ, d’une forte dose de tranquillisants…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bienvenu dans un roman graphique étrange, aux ambiances malsaines, aux circonstances toujours imprévisibles et aux propos dérangeants mais nécessaires. Pour guides, deux adolescents – un gars, une fille, sans prénoms – trimbalent leurs carcasses désabusées à notre époque contemporaine. En nous faisant partager leur ressenti particulièrement atone sur les évènements pourtant graves d’une semaine, jour après jour, l’auteur allemand Lukas Jüliger se livre à un véritable florilège des maux et des angoisses de cet âge, sans tabou. Au premier chef, il y a certes les pulsions sexuelles, tellement puissantes qu’elles frayent ici avec le surnaturel. Les ados s’abandonnent en effet parfois sur un « rectum géant » situé dans un coin reculé de la forêt, et qui leur procure un bien-être inouï. Mais il y a aussi les expériences de substances stupéfiantes, dont l’un ne reviendra jamais (Sho). Et enfin la pulsion de mort, fascinante, attrayante, que l’un éprouve sur lui-même (il se suicide), que d’autres prennent en photo (vive les smartphones), qu’un dernier distribue sans émoi (façon carnage à la Columbine High School). Par le truchement en voix off de sa pensée, le héros garçon partage sa distanciation et revient en parenthèses sur les détails éclairants, afin que tout finisse par être explicite. Le plus intéressant est sans doute que l’intrigue n’a ni suspens, ni enjeux. Au rythme des 128 pages, Jüliger nous laisse juges et désarmés pour interpréter les faits, aussi graves, plats ou sordides soient-ils. Il nous abandonne aussi avec une fin en queue de – il ne fallait certes pas s’attendre à autre chose. Son dessin déstabilise aussi quelque peu : personnages et décors sont ultra stylisés, mais leur finition est chiadée dans un monochrome crayonné gris-taupe parfaitement raccord avec la gaieté ambiante. Le rythme, les angles de vues et les profondeurs révèlent une sacrée maîtrise du découpage séquentiel. En conclusion, ce roman graphique ne dit rien et pourtant dit tout sur le mal-être adolescent. Super original et maîtrisé, limite irracontable, il nous abandonne à un sentiment poisseux durable…