L'histoire :
Un soir de décembre 1930, une poignée de vieux marins s’enivre dans une taverne de Roodhaven (côte Est des USA) en se remémorant leur pire souvenir de chasse à la baleine : le naufrage du Golden Licorne, fracassé contre les dents d’une baleine géante. Quelques minutes plus tard, l’un d’eux sort du troquet et rentre chez lui en longeant le littoral, sous une averse. Mais alors qu’il soulage sa vessie dans les vagues face à la mer, il voit surgir de l’eau un crabe géant, haut comme une maison. Epouvanté, il court alerter ses vieux compères et tous viennent constater que le crustacé est resté planté là, immobile et apparemment inoffensif. Ils commencent à l’approcher, à toquer sur sa carcasse. Ils découvrent ainsi que la carapace de l’animal est composée d’un morceau de la coque du Golden Licorne, avec le blason de ce baleinier jadis naufragé ! Un des marins qui tente de décrocher ce morceau de coque se retrouve avec la peau brûlée, au contact des mandibules du monstre figé. Alerté par la presse, le jeune John Greyford, chercheur pour l’Institut des Sciences de la Mer, se pointe trois jours plus tard dans le petit port côtier. Il est fort mal accueilli par les rustres marins, qui ont un compte à régler avec la baleine responsable du naufrage. C’est un policier, le lieutenant O’Bryan, qui l’escorte donc jusqu’au crabe géant, toujours figé sur le littoral. Or en l’étudiant de près, Greyford fait une découverte stupéfiante à travers les entrailles du crustacé : une jeune femme se trouve vivante à l’intérieur ! Aussitôt, les deux hommes grimpent sur le dos de la bête et découvrent une ouverture dorsale. Ils y descendent…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour une drôle d’histoire, voilà bien une drôle d’histoire. Deux grands auteurs du registre fantastique de la BD, Benoît Sokal et François Schuiten, se sont associés pour une aventure maritime à la frontière du paranormal, mâtinée de Moby Dick (pour la vieille rancune envers une baleine) et nourri de la lubie « animorphes » de Sokal (cf. Paradise, Kraa, ou le jeu vidéo l’Amerzone). Il est en effet prioritairement question de l’existence d’une mythique baleine géante dans le monde réel de 1930, une baleine grande comme plusieurs terrains de foot ! Tellement grande, qu’une plage et des cocotiers la font ressembler à une île tropicale et pas du tout à une baleine. Ha : et s’il s’agissait en réalité d’une île et de ses récifs, interprétés comme un cétacé monstrueux par des rustres en mal de sensation et en quête de vengeance ? – se demanderont les plus cartésiens des lecteurs. En effet, il suffit de s’être déjà intéressé de loin au métabolisme de la baleine pour savoir qu’elles n’ont pas de dents (façon requin), mais des fanons (filtre à plancton). Les chasseurs de baleine vétérans l’ignoreraient-ils après une vie de pêche ? En attendant que ce mystère offre toutes ses clés (dans le tome 2), les amateurs d’univers bizarres / baroques, mélangeants des espèces nouvelles et des mondes décalés, se laisseront porter par un scénario un chouya linéaire et truffé d’incohérences. Entre autre : pourquoi l’eau ne rentre pas par l’ouverture du crabe géant ? Pourquoi Aquarica a-t-elle attendu toute une vie pour rejoindre la civilisation ? Seul au dessin (sans Schuiten), Sokal met en scène un univers lacustre particulièrement soigné, porté par des personnages semi-réalistes et des ambiances prégnantes. Ça sent le varech et le fruit de mer. A lire après avoir acheté un pot de mayo.