L'histoire :
C’est les vacances. Mr et Mme Maturet ont réservé une chambre d’hôtel à Palavas-les-Flots. Ils arrivent en voiture alors que la saison estivale a déjà démarré. Le soleil est au rendez-vous, les touristes aussi, qui font du cerf-volant, car le vent souffle fort. Ils trouvent à se garer sur le front de mer, le long de l’esplanade commerçante. Ils font quelques pas pour s’imprégner de la promesse de farniente à venir. Une grosse bourrasque de vent fait se retourner à l’envers le parasol d’un touriste. Mme Maturet est amusée et pivote le regard vers son mari pour partager ce moment. Mais à celui-ci, il manque la tête. En effet, Mr Maturet vient d’être décapité net par une pancarte en tôle emportée par le vent. Tout autour d’elle, les touristes sont médusés. Mme Maturet, elle, reste interdite, impassible, en état de choc. Elle tient toujours la main de son époux, alors qu’il s’est écroulé au sol. La police est rapidement là. Professionnels, les agents la rassurent, lui formulent la suite administrative du drame. Elle écoute, tout en restant d’un flegme étrange, comme absente. Le téléphone portable de son mari sonne dans sa poche. Elle répond. Elle dit qu’ils sont bien arrivés, qu’il fait beau et qu’il y a un peu de vent. Puis elle s’en va prendre sa location, seule, comme si de rien n’était. Mme Maturet a visiblement décidé de continuer et profiter de sa semaine comme si elle était toujours en couple…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Encore une excellente idée de scénario signé Lewis Trondheim, aboutissant à une histoire d’une force exceptionnelle. Du genre à vous fiche une grosse tarte d’entrée de jeu (voir résumé), et à vous accrocher irrépressiblement et tout du long, à des planches souvent muettes, qui défilent donc vite. Aussi vite que la vie « normale », en fait. Le point de départ de la problématique est posé dès la 5ème planche (sur 124 !) : Mr Maturet meurt accidentellement, d’un coup (voir résumé) et sans sensationnalisme. Cet évènement aussi soudain que tragique relève d’une normalité renforcée par le cadre estival et touristique où il se produit. Ce qui s’ensuit tranche radicalement avec les canevas de polar ou d’investigations habituellement rencontrés. Car tout le fond de l’histoire – et le titre – est alimenté par la réaction radicale de Mme Maturet, dont la dignité n’a d’égal que le détachement extrême. Et par la vie alentours qui continue – forcément – et à laquelle on participe – forcément – malgré tous les traumatismes. Sur le plan de la continuité, le dessin d’Hubert Chevillard est irréprochable. Son style crayonné semi-réaliste et expressif a du chien. Chaque scène de la vie ordinaire renforce le tragique de la situation. Le découpage, tout comme les choix de cadrages, sont immersifs. La question vous interpelle inévitablement : comment réagiriez-vous en pareille circonstance ? La façon de gérer le drame de Mme Maturet est-il si incongru ? On découvre les jours qui suivent de manière aussi haletante que s’il s’agissait d’un thriller. On attend que la normalité soit violentée. On attend que sa rencontre avec Paco la fasse passer à autre chose. Chaque instant est susceptible de la faire sortir de son état de choc, d’un calme royal. De quoi vous bluffer tout du long et vous obséder longtemps après la lecture. La vie est trop courte, profitons de chaque instant.