L'histoire :
En février 2013, un couple de personnes âgées est retrouvé suicidé aux médicaments dans leur petit appartement d'une ville espagnole. Ils sont paisiblement allongés sur leur lit, main dans la main. Sur une table de nuit, une lettre est adressée à « Monsieur le juge », le décisionnaire de l'ordre d'expulsion qui se trouve sur l'autre. Un an plus tard, l'inspectrice de police Tabares et son adjoint Sotillo se rendent dans l'appartement d'un homme retrouvé mort dans son salon, dans des circonstances suspectes. Il était commercial dans une banque, célibataire, avait une alimentation et une hygiène de vie lamentables. L'autopsie révélera un empoisonnement. Mais tandis que les deux policiers enquêtent, la radio annonce la mort du directeur d'une autre banque, renversé par un chauffard en voiture. Puis ils sont convoqués sur les lieux d'un nouveau cadavre tout frais. De nouveau, il s'agit d'une femme qui s'est soudainement écroulée morte dans un bar, encore une directrice de banque, mais une troisième enseigne. Or à ces trois victimes, s'ajoutent encore un 4ème mort par empoisonnement... puis un 5ème... tous dans un intervalle restreint de quelques heures. Toutes les victimes travaillaient dans des banques, cela dépasse l'hypothèse de la coïncidence. Les policiers devraient-ils faire face à un groupe terroriste ou à un serial-killer ? Dans cette dernière hypothèse, il s'agirait d'un serial-killer incroyablement bien organisé...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec cette BD en one-shot, l'espagnol Miguelanxo Prado propose un polar social noir atypique et amer. Sur le plan narratif, tout d'abord, on retrouve certes une base classique de polar : deux flics compétents et méthodiques enquêtent sur une série de morts suspectes. Mais les investigations n'ont pas le temps d'avancer, car les morts s'enchaînent à la pelle, presque trop vite pour permettre l'excitante récolte d'indices et l'édification des hypothèses. Étant donné le préambule explicite de Prado, la séquence d'introduction et le milieu professionnel dans lequel ont lieu les meurtres, le suspense qui fait d'ordinaire le sel du registre policier est vite éventé. La dénonciation d'un scandale social et bancaire prend en effet le dessus : dans un contexte de finance mondiale dérégulée, de petits épargnants de nombreux pays se sont vus spoliés de leurs économies par des escrocs en cols blancs, en toute légalité. Et le summum de l'abjection est atteint lorsque ces proies faciles (car non-initiées aux pièges des arcanes financières) culpabilisent de « leur » faillite. Or à notre bienveillant XXIème siècle, nul ne peut se passer de banques. Dans le récit, la vengeance légitime (mais certes pas légale) s'impose donc vite comme la seule explication possible. L'originalité tient donc ici au retournement (au rétablissement) de culpabilité : qui sont les réelles victimes du ou des serial-killer(s) ? Impossible pour le lecteur de ne pas trouver le(s) meurtrier(s) attachant(s) et de ne pas se réjouir des crimes. Bien que funeste, la démonstration est salubre dans le sens où elle emprunte une forme de compensation morale. Elle participe en tout cas du vent d'indignation citoyenne face à l'impunité qui régit très souvent les puissants milieux financiers (et pas que), devenus hélas système nerveux de notre civilisation. Le dessin en noir et blanc de Prado, toujours de haut vol, toujours réalisé avec un mélange de crayons, de craies et de lavis, fait quant à lui la part-belle aux trognes des personnages, justes et expressives, tant côté flics que suspects.