L'histoire :
Plazza Dorrego, Buenos Aires, 1998. une foule de grands-mères défile sous l'œil attentif des caméras de TV pour médiatiser leur cause. Interpellé par ce drame largement médiatisé, Mario, un jeune homme de 20 ans, décide d'aller à la rencontre de ses grands-mères. Il s'interroge sur ses origines car sa ressemblance avec ses parents n'est pas frappante (il n'y a aucune photo de lui bébé dans les archives familiales !). Il est accompagné dans sa démarche par son ami Santiago. Les deux garçons discutent avec les abuelas et poursuivent leurs échanges dans leur appartement. Pour lever les voiles sur ses doutes, Mario fait un test ADN. Santiago (qui tombe sous le charme de la belle infirmière) aussi. Mais les deux étudiants sont loin de mesurer les conséquences de cet acte anodin sur leurs vies et celles de leur entourage.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
De 1976 à 1983, la dictature de la junte militaire a sévi en Argentine. Tant et si bien que près de 30 000 opposants au régime ont été supprimés. Parmi eux, figuraient des femmes enceintes, dont les nouveaux-nés ont été arrachés à leur naissance, avant que ces femmes là soient elles-même liquidées. Depuis 1977, les grands-mères de ces enfants adoptés par des famille remuent ciel et terre pour les retrouver. C'est cette histoire méconnue des occidentaux que Matz, féru d'Amérique du Sud, a choisi de raconter avec une sensibilité qui tranche avec ses précédentes BD. Pour le coup, on est loin de Julio Popper, du Travailleur de la Nuit... ou même du Tueur. Pourtant, il plane ici un soupçon cynique sur les limites de l'âme humaine, basculant dans l'horreur et l'absurdité. Sans sombrer dans la polémique politique, il livre un scénario (qui met du temps à décoller) sur la complexité des rapports humains, quand la quête d'identité passe par là avec une douceur étonnante. Il est bien aidé en cela par le dessin voluptueux et élégant de Mayalen Goust, venue du monde de l'illustration. Sa progression graphique depuis le triptyque Kamarades est d'ailleurs à saluer : son trait gagne en fluidité et en dynamisme, ses couleurs sont moins évanescentes et plus affirmées. Vies volées est une belle découverte de ce début d'année.