L'histoire :
Désert Tunisien, 1915. Deux hommes sont ligotés comme des saucissons sous le soleil brûlant, aux pieds d’un soldat. Il manque les dents de devant à l’un, l’autre a « J’ai le cafard » tatoué sur le front. Paris, 1934. Le moteur d’une limousine claque devant le café-hôtel d’un quartier populaire. Pendant ce temps, dans la cave de son troquet, le taulier s’apprête à remonter des bouteilles, quand il entend, par le soupirail, le moteur rendre l’âme. Peu après, c’est le bruit de talons hauts sur le pavé de la rue. Un gros individu débarque dans le bar avec sa poule et demande s’il a la TSF. Le taulier indique le fond de la salle et leur propose de boire quelque chose. La poule demande s’il sert des picon citron. Elle se fait bien remettre en place par le gros bourgeois qui semble vraiment à crans. Une fois l’antipathique personnage collé au poste de radio, la conversation s’engage entre la poule et le taulier. Elle raconte qu’ils se rendaient au champ de course, quand l’auto a lâché. Eddy, son homme, a parié sur un tocard dans l’espoir de décrocher le gros lot. C’est pourquoi il est si nerveux. Le picon à peine servi et aussi vite descendu donne chaud à la poule, qui enlève son manteau, révélant une tenue de soirée des années folles. La perruque blond-platine lui donne un air à la Marlène Dietrich… le dernier dada d’Eddy. Eddy, qui s’impatiente devant la TSF, tout en invectivant sa compagne sur sa tenue pour le moins dénudée. Il la menace de la boxer si elle continue à picoler…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Apache, voyou en argot, est le premier album de Alex W.Inker, professeur à Lille 3 sur le lien entre la BD et le cinéma. Le format à l’italienne impose une forte identité dès la couverture : le titre poinçonné sur deux gros bras et une pépée, ensemble au lit. Cette histoire est un abîme qui s’ouvre par la panne de la limousine et se referme à la dernière page. Le lecteur y tombe sans fin au gré d’un scénario virtuose, mis en scène à la manière des films de Gabin, intégralement en noir, blanc et rouge. La rencontre des destins qui vont se sceller dans ce troquet est un régal à plusieurs égards. D’abord, le choix du format à l’italienne permet des vignettes plus grosses, avec un impact fort et une meilleure immersion dans l’histoire. Le trait typiquement adapté à l’époque, ramène à la Traversée de Paris et consorts. La colorisation singulière érotise l’ambiance, qui ne manque pas de lui faire écho. L’héroïne passe plus de temps à poil qu’habillée. Et quand elle l’est, c’est en déshabillé ! Le scénario est simplement brillant, à tiroirs, plein de surprise et d’audace, teinté de l’argot parigot qui participe à cet ensemble abouti et bien bâti. Comme les personnages, pour la plupart sans foi ni loi, sauf celle du grisbi. Ils complètent le tableau, chacun avec sa présence forte qui explose dans les vignettes à l’italienne. C’est brillant, novateur dans un format et une ambiance d’antan, bavard en même temps que subtil. Apache bénéficie en plus d’une présentation vraiment bath.