L'histoire :
États Unis, XIXéme siècle. Depuis quelques temps, déjà, des troupes d’acteurs professionnels ou amateurs sillonnent le territoire américain pour des spectacles d’un genre nouveau. Généralement, des duettistes blancs grimés à la manière des noirs américains offrent à un public enthousiaste une série de pantalonnades douteuses et caricaturales. Qui fait en tout cas passer les afro-américains pour des imbéciles, voire des sauvages. Aussi, la riposte s’est elle organisée sous la forme d’un mystérieux groupuscule, le « Coon Coon Clan » qui régulièrement incendie le matériel et châtie les comédiens... Tandis que la mystérieuse organisation a encore frappé la veille, un pauvre vagabond noir unijambiste tente de glaner quelques pièces pour emplir son gosier. Sa jambe le fait terriblement souffrir et notre bonhomme, pour se soulager, n’a pas meilleure idée que d’entamer une incroyable danse. La performance lui fait s’attirer la sympathie d’un irlandais qui lui propose immédiatement de rejoindre sa troupe : une compagnie qui, sous couvert de spectacle, vend un élixir miraculeux soi-disant préparé par un chef indien. Le vagabond accepte espérant ainsi récolter assez d’argent pour s’offrir une nouvelle jambe. Et il faut dire que rapidement, ses prestations permettent d’amasser de nombreux dollars…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le bonhomme nous avait asséné une jolie claque en solo avec l’épais et fabuleux Rêve de Meteor Slim mettant en scène un blues parfaitement millimétré. Depuis, Les jumeaux de Conoco Station ou le plus récent Lomax ont largement contribué à démontrer l’attrait de Frantz Duchazeau pour revisiter un pan de l’Histoire américaine via sa musique populaire et ses acteurs. L’idéal également pour mettre judicieusement en scène son corollaire ségrégationniste, raciste et miséreux. Ce nouvel album titille donc ce même univers, en choisissant pour guide un vagabond noir à jambe de bois. L’occasion – en suivant ses virevoltes unijambistes, son jeu prodigue et inné au banjo ou ses tristes déconvenues – de porter l’attention sur de curieux spectacles itinérants créés vers la fin des années 1820 : les « Minstrel’s Shows » ou « Medicine Shows ». Ces démonstrations prétendument humoristiques mettaient alors en scène (jusque dans les années 1950 !) des acteurs blancs – aux visages noircis pour l’occasion – parodiant à grands renforts de clichés racistes, la population noire américaine. Sous cet angle, le récit proposé par Duchazeau sert idéalement la problématique raciste et la condition noire de l’époque. Au-delà, l’ensemble tire également des bordées du côté de l’univers de Charly Chaplin, pour un hommage à peine voilé. Tout y est, presque : la misère, l’amour avec l’ingénue pauvrette, le burlesque, la dramaturgie, les rêves de gloire, l’ascension et la conclusion en forme de boucle philosophique. Dans la manière de faire, on retrouve un peu également cette même volonté. Nombre de séquences sont, par exemple, « muettes », avec le texte des phylactères remplacé par de petits dessins. Indéniablement, on se laissera porter de bout en bout, trimbalés à loisir par une science narrative brillante créant attache et émotion. La partie graphique excelle une nouvelle fois dans l’art du mouvement et les jolis coups de pattes charbonneux. On regrettera simplement peut-être que plusieurs vignettes ou planches laissent le sentiment d’avoir été un brin moins travaillées. Une excellente balade, en tout cas !