L'histoire :
Dans les années 1860, un métis (fils d’un blanc et d’une squaw Nakoda) achète un immense lopin de terre à flanc de colline, dans un coin sauvage à proximité de Sinnergulch, dans l’état canadien d’Alberta. Le prospecteur appelé Gus Carcajou a du caractère et sait ce qu’il veut. Il file le pourboire dû à l’indien qui l’a conduit ici et l’invite à partir, sans ménagement. L’indien lui promet que cette terre ne lui portera pas chance. Gus Carcajou installe son campement et se met aussitôt à tamiser la rivière. Une première grosse pépite lui indique la bonne intuition : c’est un filon d’or ! Hélas sa joie est de courte durée : il est aussitôt attaqué par un carcajou, un animal féroce, proche de l’ours. Une bataille rude s’engage, l’homme avec son couteau, l’animal avec ses dents acérées. Finalement, l’homme amoché tue le carcajou. Il soigne ses blessures, construit un cabanon, tanne la peau du carcajou et s’installe définitivement à cet endroit. Avec ses cicatrices sur le visage, sa peau de carcajou sur le dos et la tête de l’animal en guise de coiffe, il devient une légende redoutée des villageois. En 1895, il est l’homme des bois solitaire, associable, qui descend au saloon une fois par mois pour acheter 10 bouteilles de gin avec ses pépites. Même le shérif Linus et le potentat local, Jay Foxton, à qui Sinnergulch appartient quasi entièrement, évite de s’y frotter. Mais Foxton, qui fait fortune avec ses derricks, aimerait racheter la riche terre de Carcajou, quoi qu’il en coûte…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ouvrez bien large votre champ visuel en cinémascope et plongez-vous sans hésiter dans cet épais western canadien. Eldiabo scénarise une aventure à la fois bien inscrite dans les codes du genre, bien musclée et tout à fait originale. En premier lieu, les profils psychologiques des personnages sont incarnés et bien marqués. Aucun n’est précisément héroïque, c’est le moins qu’on puisse dire. Ils s’éloignent de tout manichéisme et se montrent néanmoins attachants malgré leurs sales manières. Gus Carcajou est un homme des bois rustique et impitoyable ; Jay Foxton est la figure classique du potentat sans scrupule ; mais aussi son frère Aleister, colosse simplet car trépané ; Squirrel la proprio du saloon revancharde ; le shérif Linus et sa part d’ombre ; ainsi que moult personnages secondaires. Il y a même un colporteur d’élixirs miraculeux, façon Doxey dans Lucky Luke. Cet aéropage crédible et expressif joue une partition jouissive et parfaitement menée sur les thèmes de la vengeance, de l’exploitation minière et pétrolifère, d’un mystérieux meurtrier, d’un « fantôme » saboteur… le tout dans les magnifiques décors sauvages et plutôt hivernaux de l’Alberta canadien. On s’intéressera aussi beaucoup au dessin de Djilian Deroche, dont c’est la première « grande » bande dessinée. Sa griffe artistique combine de manière très souple l’expressivité des personnages stylisés, les vastes paysages, une étonnante séquence animalière (p.109-111) et une immersion dans la société cambroussarde et pittoresque d’un patelin de la fin XIXème, le tout au sein d’un découpage totalement réussi et immersif. En somme, on en prend plein les mirettes, on frissonne, on est happé par l’intrigue qui ne se révèle pleinement qu’à la toute dernière page. Une fresque scorsesienne en BD, comme en n’en fait plus.