L'histoire :
Domenico vient tout juste de fêter son départ à la retraite. Mais s’il est insomniaque cette nuit-là, c’est pour une toute autre raison. Profondément perturbé, il se lève au milieu de la nuit sans réveiller son épouse qui dort à côté de lui. Il va dans la salle de bain avec son téléphone portable. Une nouvelle fois, il consulte sur écran la nouvelle choc qu’il a lue sur Facebook : l’autrice française de BD Sophie est décédée. Domenico est anéanti. Jadis, alors qu’il n’était encore qu’étudiant, il a bien connu Sophie. Il a même vécu une fervente histoire d’amour avec elle. Il se souvient de leur première rencontre, dans un bar. Elle l’avait bousculé et il s’était renversé de la bière sur sa chemise. Il n’avait pas été très sympa et l’avait prise de haut. Mais il avait été instantanément charmé et lui avait aussitôt proposé de se rattraper en l’invitant au resto. C’était une pizzeria et leur discussion autour de l’art avait été aussi intense que leurs regards l’un vers l’autre. En sortant, il l’avait raccompagnée et ça n’avait pas manqué : ils s’étaient embrassés et Sophie l’avait invité à venir boire « un dernier verre » chez elle. Le vieux Domenico revit ces moments avec une nostalgie douloureuse. Quand il se lève, le matin, sa femme est partie en lui laissant un gentil mot manuscrit. Domenico s’habille et ouvre un tiroir de son bureau. Il emporte avec lui la dernière lettre écrite par Sophie et il écrit à son épouse deux mots très courts : « Je sors »…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Connaissez-vous la différence entre les remords et les regrets ? Dans ce superbe one-shot qui interroge sur les sentiments et le sens d’une vie à deux, le retraité Domenico en est précisément à ce carrefour existentiel. Alors qu’il s’apprête à entamer le dernier quart de sa vie, il se dit qu’il a sans doute raté quelque chose d’intense, de beau, de puissant. Et que, hélas, maintenant, c’est trop tard : son amour de jeunesse vient de casser sa pipe. Et il se retrouve seul face à sa nostalgie, devant l’impossibilité de partager sa douleur avec quiconque. Les italiens Lorenzo Coltellacci et Tamara Tantalo s’emparent de ce sujet avec brio, par le biais le plus romantique qui soit et qui ne manquera pas de faire vibrer les lecteurs de tout âge et de tout sexe. On suit logiquement une narration alternée, par un classique système de flashbacks bénéficiant d’une teinte ocre par-dessus le très joli et réaliste lavis et crayonné gris, afin de bien se repérer. D’un côté, au présent, Domenico accuse le coup et s’engage dans un abominable travail de deuil : une impasse. De l’autre, il se souvient par séquences successives de sa jeunesse et de ses tendres moments passés avec Sophie – ou des débats sur le sens de l’art, ou sur la manière de gérer un véritable grand amour, en évitant qu’il ne sombre dans le commun. Une phrase clé résonne en boucle sans trouver de solution dans la tête de Domenico : « Ne pas posséder pour ne pas perdre ». Allez, avouez, ça vous interpelle, hein !