L'histoire :
Dans la forêt, les arbres centenaires trônent en gardiens immobiles, pendant qu’au sol, les fourmis s’affairent. En insectes pragmatiques elles rejoignent un rail qui semble de bon augure pour la colonie. Mais le passage d’un train ne laisse aucune chance à celles qui s’étaient engagées. Dans le train, un vieil homme lit le journal. Sur la banquette d’en face, un jeune est affalé, il se réveille doucement. L’homme explique qu’il était en train de lui parler et que, visiblement, c’était soporifique. Les médecins de ville lui ont bien dit qu’il aurait quelques somnolences. Après le gros choc cérébral qu’il a reçu, c’est bien normal. Et s’il se sent mal, qu’il en fasse part à son hôte, il est là pour veiller sur lui. Depuis la grande catastrophe, les particuliers viennent en aide aux hôpitaux qui ne peuvent faire face à l’afflux de victimes. Les équipe de recherche l’ont miraculeusement découvert indemne, mais amnésique parmi les décombres. Et maintenant, le vieil homme lui propose de l’aider à reconstruire une nouvelle vie. Il se présente : Herman Desonge, peintre et propriétaire d’une grande maison aux abords de la petite ville de Calencourt…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Malgré le titre et une couverture flamboyante, Couleurs est un album globalement en noir et blanc, très contrasté, qui pose d’emblée une atmosphère énigmatique. Les premières planches offrent un décorum dérangeant avec les fourmis écrasées et le ciel chargé, hypnotique. La petite ville silencieuse, les bâtiments à la Schuiten, tout en perspective, donnent le tournis malgré une apparence paisible. Le scénario imaginé par Sylvain Escallon est à la fois simple et surprenant, proprement machiavélique. Le graphisme avec son air loftcraftien, ajouté à la mise en page vertigineuse, entretiennent de concert le mystère qui plane dès le début sur les attentions du vieux monsieur à l’apparence pas du tout inoffensive. Les discours anodins proférés au jeune homme sont destinés à endormir sa vigilance, comme font les politiques ou les patrons de la nouvelle vague pour parvenir à leurs fins rarement philanthropiques, même s’ils prétendent le contraire. Toute une symbolique est au travail au fil des pages, offrant un autre plan de compréhension, les fourmis, la verrière qui sert de logement au jeune homme, la présence de ce clochard dans les rues désertes, la porte rouge… autant d’éléments qui donneront matière aux interprétations les plus folles quant à la réelle intention de l’auteur. Le dénouement fait honneur à l’ensemble, parce qu’il est inattendu et aussi parce qu’il est implacable, comme le système.