L'histoire :
Dans un futur proche, le Japon est envahi par la technologie occidentale et se pose la question d’une fermeture totale des frontières. Toutefois, l’île de Kino est relativement épargnée par ce débat, étant donné qu’une loi y impose un maintien des traditions figées à la fin du XXème siècle… et notamment l’interdiction formelle de recourir aux androïdes. Dans cette enclave paisible, la sexagénaire Hélène se remet péniblement d’un grave accident de voiture. Les soins et la kiné l’ont privée de son poste de première pianiste au sein de l’orchestre philarmonique, durant plus d’un an. De fait, les dirigeants de cette institution ont anticipé sa succession… Au moment où elle peut enfin revenir, son poste est donc menacé par une jeune et brillante artiste. Hélène se pose beaucoup de questions : sera-t-elle capable de rejouer au même niveau d’excellence qu’avant ? Et sa vie de couple avec son mari Edo, ne mériterait-elle pas un peu de piment ? Elle propose carrément à Edo de dénicher une jeune femme qui serait son sosie, afin de faire une partie à trois. Elle sent le refus d’Edo trop poli pour être franc. Malgré la loi en vigueur, elle prend donc l’initiative de commander un robot à son image, une IAH muette mais dernier cri, capable de ressentir les sentiments humains profonds et d’adopter un comportement adapté…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Idéal est la première bande dessinée de ses deux auteurs, Baptiste Chaubard, libraire parisien et Thomas Hayman, fana d’architecture. On ressent d’ailleurs fort bien la propension à la géométrie des espaces à travers son trait fin encré, léché, réaliste, besogné jusqu’à une ultime esthétique proprette et paisible – japonisante ! Les 38 premières pages entièrement muettes donnent le ton ! Cela aboutit à des paysages au cordeau, qui font honneur à la culture zen traditionnelle du pays du soleil levant, mais aussi à des architectures intérieures élégantes et épurées. On sent le dessinateur moins à l’aise avec les faciès de ses personnages, plus atones que flegmatiques. Sans doute, cela participe-t-il aussi d’un parti-pris qui permet la confusion entre l’héroïne Hélène et son sosie androïde Kai. Car là se trouve le propos de cette fable d’anticipation inscrite sous une époque légèrement futuriste de retour drastique à l’autarcie et aux traditions, comme lors du Sakoku – c’est-à-dire la fermeture commerciale totale sous l’ère Edo (« Edo », c’est aussi le prénom du personnage masculin…). Mais là où les fictions d’anticipation homologues tentent souvent d’interroger la question de l’âme des robots, les auteurs interrogent plutôt ici l’âme humaine, face à la présence des robots. Faut-il les craindre ou les jalouser ? Faut-il les interdire ou les exploiter ? Les sujets sont habilement amenés et mis en perspective, dans un pays précisément tiraillé depuis toujours entre modernité et traditions. Le style graphique et le contexte d’anticipation font penser à ce que crée Hugo Bienvenu (Préférence système, Total…), ce qui n’est pas la moindre des comparaisons.