L'histoire :
En 1928, l’inspecteur Lohmann de la police de Berlin vient importuner le réalisateur Fritz Lang sur le tournage de son dernier film. Il lui impose de boire une bière en sa compagnie pour lui parler d’un sujet qui lui tient à cœur. Après avoir échangé quelques mondanités sur l’époque, Lohmann insiste pour que Lang réalise un film sur « l’affaire de sa vie ». Lang ne se laisse d’ordinaire pas imposer sa direction artistique… Mais il a été inquiété par la police 7 ans plus tôt et il avait eu affaire à Lohmann, au sujet de la mort suspecte de sa 3ème épouse, l’actrice Lisa Rosenthal, en 1921. Elle avait été retrouvée morte dans sa baignoire, a priori suicidée avec le révolver Dreyse de Lang… mais rien n’est moins sûr. L’affaire a fini par être classée accidentelle. Bref, Lohmann fait comprendre à Lang qu’il ferait mieux de s’intéresser à son affaire, pour éviter de faire resurgir la sienne. Lang rentre ainsi chez lui avec un gros dossier à étudier sous le bras. Il est accueilli par son majordome, un balafré depuis la Grande Guerre, qui lui sert un Martini. Le soir venu, dans la pénombre de son salon, Lang s’attable et ouvre le dossier. Il s’agit d’une affaire de tueur en série, qui s’en prend à des fillettes en les tuant horriblement avec une paire de ciseaux. La presse l’a surnommé « le vampire de Düsseldorf »…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Depuis son Apache en 2016, Alex W.Inker est un pilier de chez Sarbacane, éditeur chez qui il réalise des albums souvent très remarqués par la critique, souvent en tant qu’auteur complet. Il s’associe néanmoins cette fois à son compère de La route froide (un livre illustré jeunesse), Thibault Vermot, pour cette fresque policière dans le Berlin d’entre-deux-guerres. Nous côtoyons ici en personnage principal le célèbre Fritz Lang, à l’époque de son avènement cinématographique avec M le maudit, Metropolis, Le testament du Dr Mabuse). A travers son dessin chiadé et semi-réaliste, Inker fait un bel hommage à l’esthétique des « films noirs » que le réalisateur allemand a contribué à développer. Mais ce long récit en noir et blanc, dans un épais, lourd et grand format, n’est pas exactement biographique. Les auteurs fantasment une vie de Lang plus sulfureuse qu’elle ne le fut, comme pour amplifier l’orientation noire et morbide de son œuvre, donner du sens à son inspiration. Ils lui greffent le désir ardent d’un policier (curieux sosie de Churchill !), qui souhaite qu’il s’inspire d’un authentique tueur en série pour en faire un film. A l’époque, le psychopathe Peter Kürten, alias « le boucher de Düsseldorf », a réellement tué et violé 9 petites victimes (reconnues, sur 80 avouées…). Il a été arrêté, jugé et guillotiné. Dans cet album, on suit ainsi Lang qui s’intéresse à la psychose, à l’enquête, à l’arrestation, puis aux interrogatoires. Un Lang qui s’interroge lui-même sur ce type de pulsions, dans une optique cathartique d’éveiller en lui le goût (artistique !) du crime. Il n’est pas tout à fait innocent que ce propos général, autour du rapport de l’Art et de la mort, s’accompagne de la montée du nazisme, dans un climat malsain de psychose sociale et de négation humaniste.