L'histoire :
1947 à Franklin Grove, au-dessus du Bradley Bar, des cris s’échappent par la fenêtre de la chambre où Martha Bradley est en train d’accoucher de Robert (comme son père) alias Bibow. A 4 ans, dans le bar familial, il s’ennuie déjà parmi le ramassis de tocards qui fréquentent l’établissement. Son Père revient de la guerre de Corée avec une jambe en moins et une médaille. Son grand-père, lui, est revenu de la seconde guerre avec un œil en moins, perdu en première ligne du débarquement. Sauf qu’une fois, il raconta que c’était un éclat d’obus lors de la reprise d’un village. Et une autre fois encore, c’est dans un hôpital de l’armée sans anesthésie qu’on lui aurait arraché. En réalité, personne ne savait comment il avait paumé son œil. Bientôt, arrive Marilyn, petite sœur au père à définir, tellement la mère de Bibow avait partagé son lit pendant que son père était au front. En 1954, après que ses parents aient oublié de l’inscrire à l’école, il fait quand même ses débuts en septembre. Mais cette connasse de mademoiselle Kinsley l’identifie tout de suite comme un crétin analphabète qui tient un langage inadmissible. Il faut dire qu’il a un caractère bien trempé…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En adaptant le roman d’Axl Cendres, Nicolaî Pinheiro livre La drôle de vie de Bibow Bradley, un album qui sent bon le vintage, dont la couverture façon Jefferson Airplane annonce la couleur psychédélique. Bibow a tout pour mener une vie de merde et c’est un « truc en moins » qui va lui offrir une vie sinon belle, au moins trépidante et inattendue pour les gènes de sa famille. Très tôt, le héros comprend qu’il est piégé dans un monde de merde, résigné d’emblée. Il part au Vietnam comme il irait acheter des clopes. Là-bas, il trouve sa voie et alors que la chaise lui tend les bras, son destin bascule. Dans ce scénario tentaculaire, notre Bibow au charisme d’huitre va devenir, à sa façon, un héros caché de l’Amérique populaire. Avec un humour pince-sans-rire et des gueules à mines cireuses et aux yeux globuleux, l’auteur nous embarque dans une aventure à la croisée de Mash et de Forrest Gump. La coloration camaïeu entretient un certain effet psychédélique qui colle bien à la période, comme la playlist des incontournables de l’époque qui ouvre l’album. La narration sans concession, tendance « langage de charretier », maintient une dynamique nihiliste et rebelle. Pinheiro se moque des américains mal dégrossis et de leur patriotisme à géométrie variable, en rappelant au passage toutes les manips auxquelles se livre l’Oncle Sam depuis des décennies pour avoir la mainmise sur le monde. L’intérêt de la nation passe avant la nation, c’est bien connu. Alors quand elle permet à un plouc d’en croquer un peu, il ne s’en prive pas ! Il lui arrivera même de mordre la main qui le nourrit. Finalement, ce héros se révèle quand même moins implacable que son employeur, puisqu’un sursaut d’humanité aura raison de son détachement de tout. Tel un Bouddha anonyme au cul terreux qui aurait fait le chemin inverse.