L'histoire :
Hanna est la directrice d’une gare gigantesque, tentaculaire, aux proportions d’une ville ou d’un état. Entourée d’une équipe de techniciens rodés aux outils modernes, c’est normalement elle qui coordonne tout depuis son mur d’écrans informatiques, telle une cheffe d’orchestre. Normalement ! Car depuis quelques jours, Hanna a l’esprit totalement phagocyté par son amour pour Adam, bassiste charismatique au sein d’un groupe à la mode. Or il se trouve qu’Adam doit justement s’en retourner chez lui – pour retrouver sa femme. Et cette idée bouffe Hanna. Il est inconcevable qu’Adam s’éloigne d’elle. Elle n’est plus capable de penser à autre chose. La gestion de la gare est devenue secondaire, sans importance. Alors elle demande à Saskia, sa responsable du pôle cybersécurité, de retenir Adam par tous les moyens. Or Adam a déjà acheté son billet de train… Saskia ne voit qu’un moyen, incroyablement illégal : entrer dans le système informatique du Ministère de l’Intérieur, afin de modifier le numéro du passeport d’Adam, afin qu’il soit rejeté et cloué sur le quai au moment d’embarquer. Hanna demande à Saskia de faire cela. Et ça fonctionne ! Hanna n’a plus qu’à se faire belle, pour ensuite aller sauver Adam des griffes des terribles douaniers qui vont nécessairement le malmener…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A première vue, on reste interloqué devant les planches de ce curieux album, avec son titre sibyllin, son dessin biscornu, ses personnages hideux, volontairement anti-esthétiques, aux proportions déformées, campés dans des cases à géométries variables et aux harmonies disparates. Même la colorisation décalée, tantôt terne, tantôt flashy, multiplie les techniques et les genres. Dans le fond, faussement naïf et via des dialogues bien balancés, ça ressemble à une histoire d’amour dévorante, du type narcissique, perverse et contrainte. Une cheffe de gare despotique, qui gère sa Gare comme un dictateur, tombe démentiellement amoureuse d’un musicien bassiste, artiste, ténébreux, fashion-victim et… un peu absent. Sur la longue relation toxique qui s’impose au pauvre Adam, il faut assurément prendre du recul et considérer la seconde BD de Raphaël Geffray comme une allégorie de la vie moderne, urbaine, occidentale, décadente. Cette Gare est une métaphore d’un esprit jusqu’alors bien équilibré, bien structuré dans ses fondations, bien rodé dans son fonctionnement, mais qui part totalement en sucette à la suite d’une emprise mentale. Le vertige psychique qui s’ensuit se matérialise par la décrépitude catastrophique de ce décor techno-psychédélique invraisemblable, dans des grands-espaces staliniens et démesurés, dignes du Métropolis de Fritz Lang ou du Brazil de Terry Gilliam. C’est aussi réussi qu’original, même si ça ne donne guère envie de préférer le train.