L'histoire :
Deux gars de la cité se positionnent devant un champ de tournesol, non loin d’un trio de prostituées qui poireautent sur l’asphalte. Et ils hèlent « Monsieur Eustis ! ». Après quelques instants, sort alors du champ un drôle de gus, genre jeune SDF légèrement négligé mais souriant, avec un chapeau melon et une bouteille de pinard à la main. Les gars filent du shit et du vin à Eustis, qui se met à leur raconter des histoires complètement dingues. C’est pour qu’il résolve les problèmes, à la force de ses histoires, qu’Eustis est réputé dans le coin. Aline, l’une des putes, est intriguée. Quelques jours plus tard, elle paie de son corps une soirée avec lui. Eustis lui raconte qu’il était, jadis, au temps des dieux de la mythologie grecque, un satyre appartenant à la cour errante de Dionysos, le dieu de l’ivresse. Il lui raconte aussi le royaume des morts, patronné par Hadès, ainsi que le sens de la destinée de chacun, présidée par Ananké. Le lendemain, les prostituées ne sont plus que deux : Aline est partie, elle a trouvé sa voie. Eustis s’en retourne à son campement. Il discute avec un chat. Il supporte la pluie. Il croise un curieux fantôme, porteur d’une énorme tête de mort. A ce dernier, il raconte sa malédiction : jadis, en poursuivant une nymphe, il dérangea Artémis, fille de Zeus. Celle-ci lui décocha une flèche en plein cœur. Mais Eustis n’était pas mort : il était juste devenu un simple immortel, obligé de vivre parmi les mortels. Le temps des dieux était terminé…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec cette histoire nimbée d’onirisme, l’italien Fabrizio Dori offre une insolite plongée dans la mythologie grecque, adaptée à nos préoccupations socio-psychologiques bien contemporaines. A la suite d’un héros satyre prénommé Eustis, il multiplie les rencontres des divinités antiques et leurs apports, faisant office d’autant de jalons sur le parcours initiatique de son Dieu vagabond. A la recherche de sa condition perdue de satyre, Eustis trimballe depuis des millénaires son statut d’immortel, profitant et répercutant l’ivresse quotidienne qui constitue sa raison d’être – il était un disciple de Dionysos, le fameux dieu du vin. Et il lui aura fallu attendre notre XXIème décharné de toute utopie paradisiaque et cette succession de rencontres, pour trouver une voie de retour vers son monde ! Au cours d’un périple imprévisible, truffé de sens et de leçons, il croise et s’enrichit ainsi de la déesse Hécate, d’un professeur helléniste, d’un guerrier « à la dent douloureuse » prénommé Léandros, des invisibles de dessous la Terre, du furieux Arès, d’Alala l’esprit de la guerre et même de Vincent Van Gogh… Ce voyage ressemble à une idée folle mais diablement réussie, qui donne à réfléchir et à divaguer sur l’arbre des possibles de la destinée (aouch, vaste programme). Il est notamment réussi parce que Dori déroule un dessin lui aussi d’une grande originalité, à la fois très coloré, soigné dans ses moindres détails, son découpage et d’une grande souplesse semi-réaliste. L’ensemble paraîtra par moment hermétique ; mais l’exercice onirique relevait d’une gageure parfaitement comblée.