L'histoire :
L’hiver 2055, le père d’Ezra, développeur à la Silicon Valley, le contacte depuis sa ville de naissance, Marseille. Son frère Yan a disparu, leur père lui demande de l’aide pour le retrouver. Bien qu’il n’ait plus de contact depuis plus de 10 ans avec Yan, Ezra accepte de faire une pause dans son job si prenant, surtout par curiosité pour ses racines, qu’il a trop longtemps laissées de côté. A l’atterrissage de l’aéroport de Provence, il loue un scooter vocal en libre-service et s’enfonce dans la garrigue jusqu’à la villa moderne d’un petit village typique. Ezra retrouve son père, qui a forcément prix un coup de vieux ; et sa maison d’enfance, jusqu’à la salle de jeux conservée dans le même état que lorsqu’ils étaient ados. Première étape : Ezra va sonner à la maison où vit sa belle-sœur – qu’il ne connait pas. Il est reçu comme un chien dans un jeu de quille : Maya ne veut plus entendre parler de la famille Morel, ni de son mari disparu, ni de ce frère californien dont on lui a dépeint un portrait détestable. Le père de Maya et sa petite nièce Aude sont déjà plus accueillants. Petit à petit, Ezra comprend que Yan est devenu ce qu’au Japon on appelle un « otaku », c’est-à-dire un nerd ultime, misanthrope et ermite, qui a perdu tout lien et toute émotion envers la société. Il est victime du « syndrome de l’iceberg »…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Depuis l’avènement de la société des écrans, la pathologie des « otakus » est bien connue des psychiatres. Otaku au Japon, c’est ce que l’auteur Paul Rey rebaptise ici « Le syndrome de l’iceberg » : un cas de rupture d’humanisme chez un individu qui est resté coincé du côté obscur des objets connectés et des expériences virtuelles parallèles. Une sorte d’autisme envers la nature, qui rend les victimes dé-sociabilisées, ermites, atones, marginaux… Paul Rey plonge son héros Ezra, développeur de la Silicon Valley, mais qui a bien les pieds sur Terre, jusqu’à la moelle de ce sujet éminemment intéressant. En marge de la quête de frère, Ezra accepte en effet de travailler sur le projet pointu et futuriste de « l’orgue d’humeur », un engin précisément conçu pour déceler cette pathologie avant qu’il ne soit trop tard… et ce travail va l’amener lui aussi au bord du gouffre. Les émotions et les injonctions contradictoires sont au cœur de ce thriller social. C’est intéressant : Paul Rey nous promène ainsi sur la fine frontière qui séparera bientôt l’homo sapiens de l’homme augmenté. Dommage que son récit soit aussi longuet et tortueux pour explorer cette thématique (le frangin finit par être retrouvé à la p.136…). Le dessin un peu monocorde, aux traits stylisés et charbonneux et à la colorisation volontairement fade (le futur, c’est forcément triste) et manquant autant d’expressivité que de rythme, ne permet pas de s’attacher aux personnages, ni de toujours comprendre leurs intentions. Les amateurs d’anticipation décalée y trouveront cela dit leur bonheur.
