L'histoire :
En 1926, Wilson Dardonne, simple pêcheur descendant d’esclave, trouve un bébé blanc abandonné, puant et en guenilles, dans le bayou de Louisiane. Il le ramène chez lui, au grand dam de sa femme Delilah qui a pleinement conscience qu’une bouche à nourrir de plus, et une couleur de peau différente ne peuvent que leur attirer des ennuis. Mais le vieux Wilson se dit qu’un demi-frère pour leur fils Cletus, aveugle, ne peut être qu’une solution providentielle et précieuse lorsqu’eux seront morts. Et les rites vaudous de Delilah n’y changeront rien : l’enfant est baptisé Bellerophon – du nom de leur précédent enfant mort – et il sera éduqué au sein de leur barauqe du bayou comme s’il était leur fils. Naturellement, Cletus et Bellerophon deviennent deux frères proches et soudés. Lorsque les frangins atteignent l’adolescence, leur père les emmène en ville pour vendre ses poissons sur les marchés. A côté de leur stand, deux bluesmen enchantent les passants de leur duo à la guitare et au banjo. Le vieux Wilson a alors une idée : il négocie avec les bluesmen le produit de sa pêche durant plusieurs mois, contre le troc de deux guitares d’occasion, afin que ses fils apprennent à en jouer. Cela fonctionne plutôt pas mal et révèle un an plus tard, l’immense talent de Cletus pour la pratique…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans la suite quasi logique de son excellent Emmett Till, Arnaud Floc’h continue à nous parler de la ségrégation raciale aux USA au début du XXème siècle. Cette fois, cependant, il n’illustre pas un crime authentique et emblématique : l’existence de ces deux frangins bluesmen est a priori fictive… Le terme Mojo hand lui-même correspond au titre d’un album de Lightnin’ Hopkins, classé parmi les meilleurs guitaristes de tous les temps par Rolling Stone Magazine. L’histoire n’en demeure pas moins crédible et admirablement ancrée dans les années qui ont vu s’épanouir le blues (années 20-50) aux States. Au centre du récit, Clétus, noir, aveugle et prodige de la gratte, grandit aux côtés d’un frangin adoptif blanc, juste légèrement moins doué. Tous deux sont inséparables et complémentaires, jusqu’à ce que les traitements différents qui leur sont réservés leur soient trop lourds, torpillent leur harmonie, leur fraternité, leurs équilibres psychologiques. Ce faisant, Floc’h fait une nouvelle peinture sociale soignée de la Louisiane et de ses mentalités dans la première moitié du XXème siècle. Le racisme anti noirs n’est en aucun cas caricatural, car il s’équilibre avec quelques évocations du racisme anti blancs, tout aussi absurde. L’hommage au blues est également très appuyé, notamment via la playlist dans laquelle l’auteur s’est immergé durant la réalisation de l’album. Et son dessin semi-réaliste soigné, régulier et justement mis en scène demeure d’une belle efficacité.