L'histoire :
Daniel est auteur de BD. Un métier ingrat, étant donné qu’il ne mobilise guère les foules en dédicaces et que son éditeur rechigne à lui signer son nouveau projet. Et pour cause, les sujets qu’il aborde sont quelque peu hermétiques – sur la difficulté de commerce des chenilles alimentaires en Centrafrique – et ses bouquins font des bides logiques. Sur un festival, soudain, une lectrice se présente en dédicace ! Hélas, il s’agit de sa pharmacienne, qui l’a juste reconnu parce qu’il lui achète souvent des antidouleurs contre le mal de dos. Elle entame la discussion et lui confie que son fiston Kevin dessine « un peu », lui aussi. Daniel n’arrive pas à trouver d’excuse pour refuser qu’elle lui envoie le projet de BD de Kevin. Il s’attend à devoir faire des compliments sur des dessins tout pourris. Un éditeur qui passe par là, en profite pour donne les règles basiques du métier : « Il ne faut pas se faire d’illusions sur un avenir dans la BD. Pour vendre, il faut plaire. Pour plaire, il faut devenir ce que les gens veulent. Pour devenir ce que les gens veulent, il faut faire des sacrifices, ou faire autre chose ». Daniel écoute lui aussi, bien qu'il ait déjà compris tout cela depuis longtemps. Et il écoute l’avis contradictoire d’un autre auteur, gros vendeur, qui n’attend jamais l’avis des autres et s’auto-satisfait que ce qu’il produit est génial. Daniel, lui, s’épuise à la tâche des nuits durant en solitaire sur sa table à dessin et se trouve médiocre. Et puis un soir, il reçoit le projet de Kevin par mail. Et là, c’est le choc : sa BD est incroyable. Son histoire mêle tous les genres pour en créer un nouveau. Ce jeune homme est un prodige, immédiatement brillant, un génie du 9ème art. Et pourtant, sa seule motivation est d’entrer à la Haute Ecole des Arts, pour déconstruire son approche grand-public de la bande dessinée…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les lecteurs de BD ne le savent peut-être pas, mais le destin d’un auteur de BD « normal » est d’une ingratitude et d’une angoisse absolues. Les heures passées à dessiner se convertissent rarement en salaire mirobolant ; le brillant reflet de la concurrence incite au complexe d’infériorité ; et les éprouvantes séances de dédicaces rajoutent encore en charge mentale. Il faut accepter de ne pas être lu, de ne pas être compris, de ne pas être payé, de se confronter au génie des autres, de renier ses grands principes artistiques… Bref, se remettre sans cesse en question durant la production de ses propres œuvres, qui ne se concilient pas forcément aux attentes du public et demandent généralement de long mois de gestation. A travers cet album de grand format, Daniel Blancou fait une mise en abîme aigre-douce de sa condition (certes plus aigre que douce). Il utilise pour cela une narration mutante, entre récit au long cours et histoire à sketchs (il y a régulièrement un titre aux séquences). Son dessin est très stylisé, la colorisation encore plus, qui déroule des aplats et des trames de points dans les teintes basiques CMJN (cyan, magenta, jaune, noir). Ce faisant, Blancou en profite pour caricaturer ou écorner tous ceux qui plombent son milieu professionnel : les concurrents, les éditeurs, les chasseurs de dédicaces, le corps professoral, les collègues (avec beaucoup de clins d’œil !)… Ce n’est pas précisément un pavé dans la marre, dans le sens où il fait aussi et surtout preuve d’autodérision, en se mettant en scène dans un rôle de looser-plagieur sans scrupule. Mais la catharsis est patente et pas si éloignée de l’exercice de vulgarisation sociale. Les festivaliers et les collègues s’en amuseront et partageront assurément ses angoisses, en une période de plus en plus tendue au sein de la profession.