L'histoire :
Devant le cinéma Tudor, une foule est regroupée autour d’un corps sans vie, Arthur Fellig, alias Weegee, se fraie un chemin parmi les badauds en savourant d’avance la scène qui l’attend. La victime s’est faite refroidir d’avoir été avec la mauvaise fille. Le reporter a l’intention d’ajouter un peu de style à ce drame de rue. Après s’être assuré que la flicaille ne s’est pas encore radinée, Weegee ajuste le corps du pauvre gars, lui met la main sur le cœur ; du bout du pied, il déplace sa tête ; il cadre la scène et clic clac, l’affaire est sur la pellicule. Il était temps, les sirènes approchent, un dernier flash et le photographe filou file discrètement au milieu de la foule des bas quartiers qui ne cesse d’affluer vers le cadavre exposé en pleine rue. De retour chez lui, Arthur appelle Marvin, son contact dans la police, des fois qu’il ait un tuyau sous la main. Mais non, rien ce soir, dans ce New York de la grande dépression où le crime ne cesse de faire son trou. Et derrière son opportunisme éditorial, le reporter ne cache pas son inquiétude pour les gens de son quartier, là où la violence bat son plein. Il finit par se coucher, mais sa nuit est agitée d’un rêve où il se voit achever un homme blessé pour faire un beau cliché.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En choisissant un thème à la fois original et une époque entre deux eaux, Max de Radiguès nous amène dans une Amérique en pleine crise, d’une fragilité touchante, au milieu d’une violence qui ne cesse de croître. Weegee, serial reporter raconte le parcours atypique d’un pionnier de la presse à scandale, prêt à (presque) tout pour décrocher le cliché qui tue. Perçu dans son quartier comme celui qui réussit pendant la grande dépression, il bénéficie d’appuis bien placés pour un gars des bas quartiers. Coureur de jupons, mégalo, voleur, mais aussi exemple de réussite pour beaucoup, c’est bien un self-made-man à l’américaine. Les lavis moites en noir et blanc de Wauter Mannnaert transmettent à la fois l’ambiance qui régnait probablement à l’époque et la misère du peuple toujours sous le coup du Krach de 1929, en cette veille de seconde guerre mondiale. Sans être vraiment beau, le dessin nous emmène comme quand on se laisse aller à regarder un vieux film en noir et blanc. Le scénario parcourt les bas-fonds et le gotha grâce à Weegee qui se sent comme un poisson dans l’eau dans l’un et l’autre. C’est la chronique New Yorkaise d’une époque trouble, où le monde d’aujourd’hui pointait le bout de son nez, offrant déjà des parts de gâteaux aux plus débrouillards. Décadent et lucide, avec sa gueule d’Al Capone, Weegee mena sa barque sur le Styx d’un monde déjà pourri.