L'histoire :
Le chants des oiseaux, le doux murmure de la nature, la musicalité d'un ruisseau, le roucoulement d'un pinson, suffisent à ranimer d'outre-tombe deux squelettes, Hector et Victor, personnifications de la mort dynamique puisqu'ils parlent, symboles de décomposition et annonciateurs d'une nouvelle forme de vie. La musique est là, simple, ancrée dans la nature, tout près de nous. Victor, c'est le cérébral, le prise de tête, le casse-couille intello incapable d'apprécier une musique pour ce qu'elle est, incapable de n'y voir autre chose qu'un objet à intellectualiser. Hector, lui, c'est le contraire : intuitif, sensible serti d'illusions, en quête d'une absurde bénédiction pour continuer à persister dans son être, amoureux des plaisirs simples, de « la musique marchande » dirait Victor, du son qui rassemble et fait consensus. De là s'engage une causerie sur la musique, sa fonction, son essence, son rôle, ses conditions de production et ce qu'elle est devenue : un bruit de fond, des piafs qui piaillent, « un monument ou un mobilier sonore, le fantôme permanent de notre vie quotidienne », qui paradoxalement nous fait croire que nous sommes encore vivants... Faut-il connaître la musique pour l'aimer ou faut-il juste la ressentir pour l'apprécier ? Selon Victor, la musique actuelle est commerciale, fantomatique, gâteuse, privée de singularité... La vraie musique n'a pas de nom défini, ses territoires sont hermétiques, inexplorés ; elle reste à faire. Et si Victor, ce squelette aux allures pensives, avait percé par la mort le secret de l'au-delà et de la musique ? Et s'il avait franchi le seuil de l'inconnu ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec ce dialogue de morts sur la musique faisant le pari de l'audace narrative et graphique, L.L. de Mars a pris le risque d'être incompris en assumant une veine expérimentale que certains trouveront vaine ou prise de tête, d'autres stimulante et passionnante. L'auteur prend forcément le risque de l'incompréhension et du rejet, en assumant aussi une rupture artistique qui fuit toute réconciliation, tout consensus, condition première de la création. De là, un graphisme forcément noir et blanc, suggestif et éthéré, sombre et déchirant, avec des os et des crânes qui se répondent dans un territoire de l'au-delà obscur, où il est question de disserter sur ce qu'est la musique en particulier, et l'art en général. Aux antipodes de la BD grand public, cette ballade philosophique franchement désespérée, sorte de chant du cygne jamais privé d'absurde, d'ironie et d'humour, radical dans sa forme et son propos, saura parler aux lecteurs qui aiment réfléchir plutôt que se divertir (il faut parfois relire trois fois les phrases pour les comprendre !). Fourmillant d'interrogations et de saillies jouant l'autodérision, ce tête-à-tête loufoque soulève une foule de réflexions fécondes sur la création musicale et le plaisir esthétique, souvent lucides et intéressantes, peut-être verbeuses parfois. Si cette méditation philosophique teintée de métaphysique dresse le tableau sans illusions de ce qu'est devenue la musique, cette causerie à la Beckett sonne aussi comme un appel ultime et passionné à la vitalité créative. Intelligent, étonnant et salutaire. Une expérience de lecture à tenter, car ce dialogue d'outre-tombe pourrait bien vous ramener à la vie.