L'histoire :
Dans le Paris des années 1920, les artistes n'avaient qu'une seule envie, qu'une seule ambition : pouvoir être invités dans les appartements de Gertrude Stein. Chaque semaine, le 27 de la rue Fleurus devenait le lieu où il fallait être pour assister à de grandes rencontres littéraires et artistiques. Dans ce salon, on pouvait y croiser Picasso, Matisse ou encore Hemingway. La crème de l'avant-garde est là, la génération perdue, comme l'appelle elle-même Gertrude Stein. Elle était originaire de Baltimore, mais avait dans son cœur deux pays : celui d'où elle venait, et celui où elle vivait. Esthète dans l'âme, elle aimait donner son avis sur les tableaux qu'on lui apportait, entre grandes phrases et verres d'alcool. Elle collectionnait les œuvres, des Picasso, des Cézanne, des Matisse, elle les accrochaient à ses murs. Maître en ces lieux, elle y faisait la pluie et le beau temps. On pouvait y être accepté tout aussi rapidement qu'on pouvait en être congédié. Mais Gertrude pouvait aussi décider de prendre sous son aile un artiste, pour l'encourager à réussir, à produire, à devenir meilleur. Hemingway fut son préféré. Elle était toujours accompagnée d'Alice Toklas, sa compagne discrète, passionnée de cuisine. Entourée en permanence par cet environnement artistique et culturel riche, Gertrude avait décidé de se lancer dans l'écriture, elle voulait être publiée, elle voulait être reconnue. Elle ne savait pas taper à la machine, elle trouvait cela trop sophistiqué. Elle préférait laisser libre cours à son imagination sur des petites feuilles volantes, avant de les recopier dans ses cahiers.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Valentina Grande et Eva Rossetti collaborent une nouvelle fois sur un roman graphique, après avoir travaillé sur Salinger : avant l'Attrape-coeurs. Elles signent ici une bande dessinée qui s'attarde sur le destin méconnu de Gertrude Stein, à la fois collectionneuse d'art et écrivaine, une figure majeure de l'histoire de l'art. Elles s'intéressent plus particulièrement à son installation sur Paris, et à toute l'agitation et l'admiration qu'ont pu susciter les rendez-vous artistiques du samedi qu'elle organisait dans son appartement. A la fois artiste, muse, elle aura côtoyé les plus grands artistes de l'époque, dans un cercle principalement masculin. Elle aura su s'affirmer comme elle était : hautaine, lesbienne, avec une part d'ombre dans un monde assez fermé. Pour la plupart des lecteurs, ce nom de Gertrude Stein n'évoque rien. Et lorsqu'on commence la lecture, on est étonné de ne pas avoir une description précise de la femme qu'elle était. Nous la voyons à travers les yeux des hommes de l'époque. Pourtant, cela retranscrit exactement ce qu'elle incarnait : une femme mystérieuse, souvent oubliée. En continuant la lecture, on remarque également que la narration n'est pas chronologique. Cela est un choix volontaire des autrices, car Stein elle-même rejetait la notion de temporalité, pour accorder davantage d'importance aux rencontres riches en sens. Graphiquement, le trait est agréable, on reconnaît facilement les artistes célèbres, et on profite de belles compositions de planches. Petit à petit, le portrait complexe de l'artiste semble se dessiner : riche, narcissique, déroutante, figure controversée de la communauté LGBT. Cet album très bien construit fait un écho direct à la personnalité de Gertrude Stein et nous permet de découvrir la vie d'une femme de l'art oubliée.
