L'histoire :
A bord du Nellie, immobile sur la Tamise, le fils du capitaine du bateau répond à la question d'un des marins inoccupés : « Et toi, que veux-tu faire plus tard ? ». Le gamin très décidé pointe du doigt sur une carte la côte ouest de l'Afrique, ce qui pousse immédiatement un des marins jusque là silencieux à réagir. Charles Marlow commence le récit de sa première expédition sur le fleuve Congo, répondant à l'appel de l'aventure et de la découverte. La seule mission qu'il réussit à obtenir est d'aller remplacer un dénommé Joseph Klein, sur l'un des comptoirs que les colons blancs ont installé au milieu d'un pays qui regorge de richesses. Sa première rencontre sur place sera le comptable de la compagnie, obsédé par une tenue vestimentaire impeccable et des livres de compte irréprochables. Au milieu de l'anarchie de la récolte de l'ivoire et de l'utilisation d'esclaves par des colons sans scrupules, l'homme vit de manière étrangement décalée, solitaire et jusqu'au-boutiste. En route vers le poste central, Marlow entend alors parler d'un certain Kurtz, personnage mystérieux qui réussit à produire plus d'ivoire que tous les autres agents de la compagnie, et dont la réputation semble avoir remonté le cours du fleuve. La figure de Kurtz va alors devenir l'obsession première de Charles Marlow, qui va chercher à rencontrer cet homme. Tous ceux qu'il va croiser vont alors le préparer à cette forme de révélation, sur les tréfonds de l'âme humaine. Un chemin personnel et universel, qui renvoie chaque homme à une forme de solitude, face à lui-même et à tous les autres.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Autant le dire d'entrée de jeu, les auteurs Stéphane Miquel et Loïc Godart ont réussi un exercice de style délicat avec cet album adapté du roman de Joseph Conrad. Ils nous plongent dans une atmosphère lente et fascinante, qui rend très sensible l'extrême solitude des hommes face à un environnement cruel qu'ils ne maîtrisent pas. La violence des événements qui se déroulent dans un pays d'Afrique dont les habitants sont réduits en esclavage est décrite sans détour, mais elle constitue une sorte de réalité indéboulonnable qui provoque les questionnements du personnage principal. En tant que telle, elle exige une réflexion concrète et souvent désabusée, provoquant l'isolement dans la solitude pour certains, ou la fuite en avant dans la violence pour d'autres. Le propos littéraire est évident, et l'album est sans cesse traversé par cette exigence de recul, aidée par une voix off qui domine l'ensemble des pages. Le dessinateur Loïc Godart semble progresser tout au long de l'album et transformer le style hésitant de ses premières pages, aux personnages mal définis, en une forme d'assurance dans sa propre technique. Sa mise en page reste classique, avec une utilisation presque exclusive de planches à six cases, ce qui renforce la forme littéraire de l'album. Les presque 100 pages de ce livre nous offrent l'occasion d'une immersion réussie dans une œuvre complexe, centrée sur l'homme et la noirceur de son âme. Une porte ouverte à la curiosité, qui devrait pousser plus d'un lecteur à passer à l'acte en découvrant le livre à l'origine de ce travail, qui a inspiré écrivains et cinéastes. Et désormais auteurs de BD.
