L'histoire :
Dans les rues de Séoul, en 1970, un policier trouve un enfant vagabond et l’amène à l’orphelinat de Bertha Holt, une américaine à la tête d’une gigantesque institution mondialement reconnue. Sur la fiche d’identité qui accompagne son immatriculation, il est noté qu’il se nomme Jun Jung-Sik, qu’il a la peau couleur « miel », qu’il mange de tout et « élimine » bien… Bref, parfaitement apte pour l’adoption. Une éraflure et un bleu à l’œil lui valent néanmoins un répit : une première famille renonce à l’adopter pour ces raisons (heureusement, étant donné la tronche de l’argument !). L’enfant a quelques souvenirs de son passage à l’orphelinat, dans une ambiance stricte mais bienveillante. Il avoue que sa seconde vie a véritablement démarré en mai 1971, le jour où il a été adopté par des belges. Sa famille était alors déjà composée de 4 enfants : l’aînée Catherine, Erik et Coralie, globalement tous deux de son âge, et Gaëlle, la petite dernière. Le petit Jung – qui signera plus tard ses bandes dessinées sous ce simple prénom – s'intègre alors rapidement à sa famille et apprend le français à une vitesse fulgurante… au point de perdre tout souvenir du coréen !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans ce roman graphique, Jung, auteur des BD Kwaïdan, La jeune fille et le vent, Okiya et La danseuse du temps, se met complètement à nu. Comme il l’avoue en postface, cet exercice autobiographique le travaillait depuis de nombreuses années… mais réclamait un temps de réflexion. Sur un tel sujet, une distance idoine est en effet requise. Découpé en 5 chapitres thématiques et chronologiques, le résultat est donc éminemment mature, produit d’un travail sur soi à la fois naturel et douloureux. Pour ce faire, Jung utilise une narration et un style de dessin radicalement différents de ses précédentes œuvres. Un choix pas si surprenant au regard de l’intimité du propos. Pour la forme, Jung se dessine en situation au crayon et lavis, en noir et blanc, sur un dessin plus rond, plus jeté qu’à son habitude. Pour le fond, le ton demeure léger et perpétuellement optimiste, oscillant entre des pointes de cynisme (dont le choix du titre), des parenthèses didactiques (on y apprend pourquoi la Corée est la première « exportatrice » d’enfants adoptés) et des témoignages intimes vibrants d’émotion. Avec une authenticité rare, Jung parvient en effet à partager son ressenti d’être déraciné et abandonné. En prise directe et exclusive avec ses propres souvenirs, le témoignage est d’une grande richesse : son regard d’adulte sur ses origines asiatiques, les anecdotes sur son enfance, les rapports avec sa nouvelle famille, son sentiment d’abandon… Bonne nouvelle : ces 144 planches en petit format, véritable livre-charnière exutoire pour l’auteur et enrichissant pour les lecteurs, sera bientôt complété d’un second volet…