L'histoire :
En 1980, Jung, d’origine coréenne, adopté par une famille belge, est âgé de 14 ans. A cet âge, il découvre son corps, il commence à être attiré par les filles, mais il prend aussi conscience de son parcours de vie, de sa place dans sa famille, de sa différence, de son déracinement. Tout barbants qu’ils soient, les cours de danse classique imposés par sa mère lui permettent néanmoins de partager le même vestiaire que les filles (il est le seul garçon)… Il ne se prive pas alors de mâter la somptueuse poitrine de Françoise, dont il est amoureux, bien qu’elle soit plus vieille que lui de 4 ans. A cette époque, un professeur sévère l’oblige également à manger jusqu’à la dernière miette un de ses sandwichs au salamis qu’il avait jeté dans la terre, par écoeurement : « Pense aux enfants qui crèvent de faim dans ton pays ! ». Cela ne l’aide pas à surmonter son malaise intime, son sentiment de déracinement et d’abandon. A la maison, les deux sujets uniques de discussion au cours des repas l’ennuient profondément (cheval et voiture), au point de l’amener à décider de ne plus jamais parler à table. Il devient timide et s’enferme de plus en plus dans un comportement intériorisant. A l’école, il ressent un mal-être vis-à-vis des autres adoptés coréens, et entretient à leur égard des sentiments complexes, voire tabous…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans cette seconde partie de diptyque, Jung poursuit la suite de son autobiographie exutoire et néanmoins particulièrement attachante. Après l’enfance et la légèreté inhérente à cette période insouciante, vient le temps de l’adolescence et toutes les prises de conscience qui accompagnent la construction individuelle des jeunes de cet âge. Jung a beau s’efforcer de relater son vécu sur une tonalité légère et un crayonné au lavis rond d’apparence gaie, son mal-être de l’époque transparaît majoritairement de ce second volet. Les nombreuses anecdotes rigolotes (la découverte de son corps, le matage dans les vestiaires, la blague de la pisse, les pantalons moulants, les amitiés féminines…) compensent à peine un propos tragique et poignant : les rapports conflictuels avec sa mère, son malaise vis-à-vis des autres coréens, son intériorisation, son exclusion volontaire de la structure familiale, son insociabilité, sa carence en tendresse maternel, son sentiment d’abandon, sa spirale autodestructrice, la mort de la petite sœur, à peine abordée… L’auteur adulte regarde l’enfant et l’adolescent tourmenté qui intériorise son malaise à un age difficile et charnière. Par sa sincérité, sa limpidité à expliciter par l’image les émotions, Couleur de peau : miel fait désormais office d’ouvrage de référence en BD sur la blessure de l’abandon ressenti par les adoptés, une dimension complexe à appréhender.