L'histoire :
Après l’invasion du Tibet par la Chine en 1950, puis la perte de l’Indochine française, la géopolitique mondiale prend une déviance importante du fait de l’apparition du virus Chuanran. Son originalité vient de l’immunité naturelle que développent les populations d’Asie à son encontre, mais pas les européens. Le bloc capitaliste compte ainsi des millions de morts, tandis que la « révolution culturelle » a le champ libre. Les USA ferment leurs frontières et adoptent un long isolationnisme. Ce sont alors les chinois qui inventent le vaccin Bingdu, qu’ils vendent et inoculent aux occidentaux par doses hebdomadaires… en contrepartie de leur allégeance totale au Grand Timonier Mao Zedong. Un quart de siècle plus tard, les européens sont toujours asservis par la « Nouvelle Chine ». Dans ce contexte de 1975, un mystérieux tueur en série berlinois s’en prend à des jeunes femmes, qu’il éventre avant de disposer autour d’elles leurs organes selon une logique qui échappe à l’inspecteur Viktor Eberhard. Le flic opiniâtre tente de mener une enquête implacable, malgré les bâtons dans les roues que lui mettent les autorités chinoises et ses problèmes personnels : sa grande fille a fugué et il est sans nouvelle d’elle depuis des semaines. On lui présente alors son nouvel assistant, Mathias Schneider, inexpérimenté, mais de bonne volonté…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On met quelques pages à comprendre le périmètre contextuel de ce polar en one-shot, réalisé par Clarke en auteur complet. Il faut en effet attendre la p.27 pour qu’un personnage d’universitaire fasse un topo historique et redonne les clés géopolitiques et uchroniques de ces années 70 sous occupation chinoise. Dans cet album, la logique des blocs telle qu’on l’a connue a en effet splité dans les années 50, du fait des ravages d’un virus qui épargne génétiquement les asiatiques. L’avènement de l’Empire du Milieu a donc été précipité et a gagné (vraisemblablement) un bon siècle. En 1975, la Nouvelle Chine s’étend ainsi jusqu’à l’Europe. Les allemands se retrouvent donc « occupés », comme l’étaient les français en 1940 par… les allemands. Voilà pour l’idée originale du contexte géopolitique, sans doute fruit d’un mélange inspiré des récents Covid et guerres d’occupation. Le reste de l’intrigue se révèle plus classique, avec un flic stéréotypé, qui mène une enquête somme toute orthodoxe, sur un bon vieux tueur en série insaisissable, aux méthodes évidemment bizarroïdes (il dispose les organes de ses victimes éventrées selon une logique sacrément tarabiscotée, qu’on vous laissera découvrir). La révélation finale, un peu laborieuse, est toute aussi tordue, mais elle a le mérite d’aller au bout de la logique uchronique, d’ouvrir les perspectives et de répondre à la problématique intime du héros. Clarke dessine le tout en noir et blanc, avec des personnages semi-réaliste peu expressifs qui dialoguent bouche fermée, à l’aide d’un encrage très contrasté clair-obscur. Dans les cadrages et le découpage, c’est plutôt stylé !