L'histoire :
L'histoire de ce monde naît avec le Serpent. Après l'apocalypse nucléaire qui raya un passé supposé glorieux, un Seigneur est venu des Enfers pour observer dans l'ombre les maigres survivants s'entredéchirer. D'un côté, les hommes retranchés derrière les murailles de la colossale cité d'Umanurga ; de l'autre, leurs frères et ennemis singes se multipliant et occupant inexorablement toujours plus de territoire. D'autres créatures avaient aussi émergé du néant telles des géants que l'on nommait « Terreurs ». Mais leur rôle resterait secondaire dans le devenir déjà écrit de cet univers. Dévoré par une hubris incommensurable, l'empereur des hommes, Erebus, ne jure que par la guerre qui doit lui apporter la gloire suprême d'annihiler ses adversaires. Ainsi, son pouvoir de domination serait sans partage. En retour, le roi des singes, Wugga, rêvait de même. Tous deux ignoraient cependant que sous les airs d'une jeune femme désirable, le Malin chronophage s'est incarné, attendant de prononcer son cruel jugement...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’œuvre de Gabriel Delmas est à la fois fascinante et déroutante. Alors que bien des lecteurs attendent encore la conclusion du sombre et théâtral Totendom, l'auteur semble tracer sa route sans jamais se retourner, et néanmoins ressassant incessamment les mêmes thématiques gothiques et fantastiques autour de l'exercice arbitraire du pouvoir. Pavé N/B de près de 200 planches, d'un seul tenant, à la narration dense et stylée et au graphisme lithographique, Seigneur Venin a tout d'une production artistique à 100 lieues des albums commerciaux du même genre (Fantasy) qui inondent habituellement les rayons. Retraçant l'histoire d'un monde depuis sa genèse à son apocalypse annoncée, l'intrigue présente des faux airs de Livre révélé, bavard et métaphorique, génialement créateur et nihiliste de concert. La lutte orchestrée des hommes et de leurs frères singes est arbitrée par le Serpent, symbole d'une omniscience et omnipotence sans concession (plus que réellement maléfique). Le sentiment d'hubris est prégnant ; la parabole épouse sans doute l'essence perçue de la nature humaine. Est-ce l'ambiance foncièrement morbide qui poussa le jury d'Angoulême à retenir l'ouvrage en cette dernière année (2012) prédite de notre ère ? L'une des conclusions les plus célèbres du neuvième art N/B demeure que l'Un divin est cruel et jaloux. Des qualificatifs que pourraient faire siens ce dantesque Seigneur Venin, dense et prenant, à apprécier cependant avec discernement.