L'histoire :
A peine perturbé par son environnement urbain parisien, l’auteur lit fébrilement Les lances du crépuscule, soit le récit de voyage et l’immersion de l’anthropologue Philippe Descola en 1976 chez les indiens Achuar, la tribu la plus isolée du groupe des Jivaros, en Equateur. Dans ce bouquin, après une longue marche dans la jungle équatoriale, Descola et son épouse sont déposés par leurs guides chez Wajari, un achuar fameux. Celui-ci accepte d’héberger les occidentaux contre une machette et une pièce de tissu pour ses trois épouses. C’est toujours par les manières de table que débute l’apprentissage d’une culture inconnue. Descola partage rapidement le Nijiamanch, une bière de manioc préparée par… mastication ! Puis le chaman pratique ce qui ressemble à un rituel d’épuration au-dessus du crâne de Descola. Avec ses mains et sa bouche, il envoie ses propres « tsentsak », des fléchettes de salive qui vienne du fond de ses entrailles, pour compenser avec les tsentsak nocives des chamanes de tribus éloignées. Alessandro Pignocchi compare aussitôt ce récit avec sa propre expérience. Car lui aussi, avec deux ami, il a passé une quinzaine de jours parmi les Achuar, et il a été soumis aux mêmes coutumes… quoiqu’avec un regard d’occidental quelque peu circonspect…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A priori, il n’est plus du tout possible, en 2016, de faire une vraie étude anthropologique envers les populations indigènes d’Amérique du Sud et Centrale. Le plus célèbre d’entre eux, Claude Levi-Strauss, avait lui-même eu l’impression d’arriver trop tard. C’est pourtant dans une démarche aussi pure que s’est placé Philippe Descola à la fin des années 70, lorsqu’il s’est immergé 3 ans au sein d’une tribu d’indiens Achuar, au fin fond d’une forêt équatorienne difficile d’accès. Et c’est encore dans la démarché héritée de Descola, que s’est placé l’auteur de cette BD-reportage, Alessandro Pignocchi, il y a quelques mois. Le résultat de ce double carnet de voyage est ici retranscrit en alternance. Tantôt, à l’aide d’un lavis magnifique à l’encre de Chine, Pignocchi met en scène des passages desLances du crépuscule (1993), un ouvrage anthropologique de référence sur cette expérience de vie parmi les Achuar. Plus souvent, à l’aide d’un dessin jeté, qui se complète lui aussi d’un lavis de plus en plus poussé (et en couleurs vers la fin), Pignocchi se met en scène lors d’expérience immersives comparables… quoiqu’ayant eu lieu bien des années après, alors que les modes de pensées occidentales ont déjà bien perverti les conceptions indigènes (les usages catholiques !). Le tout contribue largement au dépaysement et délivre des choses essentielles sur la place de l’homme dans la nature. La plus notable étant les types de relation qu’il est possible d’entretenir entre toutes les composantes de la nature – l’homme n’étant qu’une partie modeste et relative de cette nature. Le graal recherché par Pignocchi, qui donne son titre à l’ouvrage, est l’enregistrement d’Anent, les chants incantatoires qui permettent de mettre la nature dans de bonnes dispositions pour un développement souhaité. Connus de très peu de vieux indiens traditionnalistes, ces Anent semblent bien déjà être un langage mort…