L'histoire :
Le 19 février 1960, soit 6 jours après l’explosion de la première bombe atomique française « gerboise bleue », à proximité de la base militaire de Reggane, au fin fond du désert algérien (alors français), un officier appelle à lui le soldat Dellac. Il veut aller au point zéro de l’explosion, planter le drapeau tricolore : il n’a pas pu le faire à Dien Bien Phu, il le fera ici. Pas sûr, cependant, que les combinaisons en coton et le masque à gaz de la dernière guerre protègent contre les radiations…
Le premier mai 1962, le ministre français des armées Pierre Mesmer et le ministre de la recherche et des affaires atomiques Gaston Palewski sont en visite à In Ekker, au fin fond du désert algérien. Ils vont assister en direct à un essai nucléaire souterrain. Il n’y a aucun risque : étant donné que la charge a été enterrée au cœur de la montagne, la radioactivité sera assurément confinée dans la roche. Pourtant au moment de la détonation, d’épaisses volutes de « fumée » s’échappent de la base et filent vers le bunker. C’est la panique : militaires et ministres sautent en hâte dans les camions et fuient vers le centre de décontamination le plus proche…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les essais nucléaires français de 1960 à 1995… un sujet secret, honteux, longtemps étouffé par « la grande muette » et invariablement dénoncé par les victimes – soldats et civils – et leurs familles. Avec cette BD documentaire et réquisitoire, Albert Drandov (au scénario) et Franckie Alarcon (au dessin) torpillent l’omerta et la sacro-sainte raison d’état. Les multiples témoignages et archives réunis dans l’ouvrage l’affirment : l’armée a stupidement – et souvent en connaissance de causes – exposé des hommes et des femmes aux radiations. La « grandeur » de la France, sa force de dissuasion, étaient à l’ère de la course aux armements, des « raisons » suffisantes qui légitimaient tous les sacrifices humains. Une première fois éditée chez Delcourt en 2010, revoici cette BD-enquête qui reparait chez Steinkis, augmentée de deux témoignages bédessinés. Chaque témoignage est illustré en BD par de courtes séquences de 1 à 9 planches, chacune introduite par un court paragraphe situant le contexte. Un cahier documentaire final réunit des photos et des témoignages écrits, ainsi que la liste précise des 210 essais et plusieurs centaines de noms identifiés ( ! ) qui ont donné leur vie pour ces essais. Ces documents authentiques s'ajoutent comme autant de pièces à charge à l’appui du réquisitoire. Largement documentaire, l’ouvrage demeure donc majoritairement une BD, à la trame certes un tantinet décousue, mais c’est là une rançon inhérente de l’exercice : les protagonistes à chaque fois différents, le morcellement des unités de lieux et de temps, ne permettent pas l’assimilation entière du lecteur aux personnages, aux contextes. Le propos de l’album est certes à charge contre les essais nucléaires, mais pas forcément contre le nucléaire. Il souligne surtout la dissonance de discours entre la sphère scientifique, militaire et politique, autour d’une problématique commune (la panique général lors de l’essai sous-terrain de mai 62, en est l’exemple le plus frappant). Une solide étape vers un travail de mémoire nécessaire.