L'histoire :
Dans une émission de télé, Hérodote, le père de l’Histoire, propose d’expliquer ce qu’est la géopolitique. Lui, qui vécut dans la région d’Halicarnasse au Vème siècle avant JC, était au premier rang pour assister aux guerres médiques (entre grecs et perses). A l’époque, il mène des enquêtes géographiques pour décrire l’organisation politique et militaire de l’empire perse. Ses écrits constituent les premières intuitions d’un raisonnement géopolitique. Il analyse les forces en présence, il inventorie le relief… il est même l’inventeur du mot « delta » pour décrire un estuaire comme celui du Nil. Pour expliquer son fort débit estival, il émet l’hypothèse que ce fleuve vient de pays lointains où il pleut en été (une théorie qui se révélera exacte au XIXème siècle !) Hérodote définit dès lors la géopolitique par trois ingrédients indissociables : il faut qu’il y ait un territoire, des acteurs et un rapport de force. Avec le développement des moyens de transport, la géopolitique prend une tournure sacrément compliquée à partir du XIXème siècle. Chaque état met en avant sa souveraineté : ce qu’un état conquiert, un autre le perd, soit la parfaite définition d’un jeu à somme nulle…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Aborder en bande dessinée l’histoire et les théories de la Géopolitique relève assurément d’une bonne idée. Se faire accompagner d’un guide comme Hérodote, père antique de l’Histoire en tant que science, en est une autre fort cohérente. Pour autant, cet ouvrage scénarisé par Vincent Piolet et dessiné par Nicola Gobbi souffre de comparaison avec l’excellent, récent (et récemment complété) Geostrategix de Pascal Boniface. Piolet, docteur en géopolitique à l’université de Paris 8, prend cependant la problématique par le bon bout de la lorgnette. Il cherche notamment à expliciter pourquoi, au fil du temps, des acteurs politiques que tout oppose sont parvenus à s’unir en fonction de leurs convergences d’intérêts (ex : Arabie Saoudite et USA). Il situe le début de la géopolitique moderne à l’époque des conquêtes napoléoniennes et à partir de là, il déroule deux siècles de relations internationales alambiquées et interdépendantes. Il parvient à suivre une ligne relativement chronologique, tout en rebondissant d’une latitude à une autre, ou plus exactement d’une lecture globale à une autre, chacune étant présenté par un intervenant différent. Le tout se déroule en un unique ensemble linéaire et sans chapitre. Entre autre, l’explication du conflit israélo palestinien par le géographe Yves Lacoste (p. 61 à 74) en tant qu’intervenant invité, prend une toute autre dimension au regard du conflit récemment réactivé en octobre 2023 (des événements ultérieurs à l’impression de ce bouquin). Le hic vient sans doute d’un dessin plus stylisé qu’humoristique (on a beau essayer d’en faire abstraction, la barbe d’Hérodote ressemble à… une paire de seins !!). Les quelques tentatives de caricatures des dirigeants, analystes ou acteurs géopolitiques des deux derniers siècles, avec leurs yeux systématiquement globuleux, ne sont guère non plus convaincants. Ce visuel peu accrocheur, avec sa colorisation terne et ses fonds blancs, ne parvient pas à servir pleinement de support à des phylactères très verbeux et doctes, écrits dans une police « bâton » sans sérif… rébarbative. En somme, tout est très intéressant, étayé, érudit et éclairant, mais c’est un peu ardu à suivre pour un amateur de BD – et inversement sans doute très réducteur pour les spécialistes en géopolitique.