L'histoire :
Novembre 1868. Le bedonnant et barbu photographe Pierre Duprat vient de faire le voyage entre Marseille et Montevideo (capital de l’Uruguay). Sous prétexte d’un reportage anthropologique sur une tribu reculée d’indigènes, il souhaite en effet enrichir sa collection de « femmes à poil » pour de riches clients londoniens et parisiens. Dans ce registre, les indiennes du Guarani, au Paraguay, sont les dernières à n’avoir pas été photographiées. Au moment de son débarquement, Duprat manque de peu de se faire enrôler de force dans l’armée de la Triple Alliance (Brésil, Uruguay, Argentine) qui lutte depuis 5 ans contre les troupes paraguayennes du maréchal Lopez. En Europe, tout le monde imagine que l’issu de cette guerre est proche, car les paraguayens ont tous été décimés par les ressources supérieures de la Triple Alliance. Mais sur place, les patriotismes demeurent farouches : argentins, brésiliens et uruguayens rivalisent pour tirer un maximum d’orgueil de leurs victoires. Duprat est tiré d’affaire par son confrère Jean Vander Weyde, qui l’emmène ensuite jusqu’à sa boutique. Duprat y fait connaissance de deux autres jeunes photographes, Javier et Esteban, qui lui serviront de guide lors de sa remontée sur le rio Paranà. Idéaliste, Esteban considère Lopez comme un héros. Quant à Javier, il argumente plutôt en faveur de la Triple Alliance. Duprat, lui, refuse de se mêler de politique. Il n’est pas venu ici pour ça…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le saviez-vous : tandis que, depuis notre lorgnette française, le Second Empire vivait ses derniers mois, une autre guerre particulièrement sordide se déroulait en Amérique du Sud, entre 1864 et 1870. Les causes sont floues, mais les faits historiques sont terribles : une Triple Alliance entre le Brésil, l’Uruguay et l’Argentine a lutté contre les troupes paraguayennes menées par le jusqu’au-boutiste Maréchal Lopez. Acculé, démuni, ce dernier a enrôlé des enfants indigènes qui ne comprenaient rien à ce conflit, ni au maniement des armes, pour servir de chair à canon. Soit une énième illustration de ce qui se fait sans doute de plus dégueulasse en matière de conflit armé : l’utilisation d’enfants-soldats. Le scénario de l’argentin Diego Agrimbau débute cependant sur une expédition motivée par une cause plutôt amusante : sous prétexte d’anthropologie, le photographe Duprat constitue une collection de « femmes à poil » (pour des clients !). L’on suit alors le bedonnant et attachant personnage au cours de son expédition, qui rencontre divers aspects de la guerre… dont le dernier se déroula lors de l’ultime bataille d’Acosta Ñu. En mémoire des petits soldats morts lors de cette bataille, le 16 août de chaque année, est aujourd’hui célébrée au Paraguay la « journée de l’enfant ». Le sujet est idéalement amené par l’expérimenté Agrimbau, sans trop de pathos, mais sans se voiler la face non plus, faisant par là-même acte mémoriel et œuvre didactique. Son compère et compatriote dessinateur Gabriel Ippoliti met superbement en scène la fresque. Entre réalisme et semi-réalisme, son style prend la forme d’un crayonné complété de couleur directe, sur des teintes par moment légèrement sépia, ocres ou surannées. Un travail éblouissant à tous points de vue : justesse des expressions, paysages panoramiques, animations d’époque, reconstitution historique d’une grande force… Un fort bel hommage.