L'histoire :
Il est 1h50 de la nuit, le réveil de Guillaume sonne. Il petit-déjeune tel un zombie, en écoutant les musiques de films de Radio France. Il enfourche son scooter et à 2h50 du matin, le voilà rendu devant les locaux de News TV, où il vient d’être embauché pour participer à la « 1ère matinale de France » ! Il arrive dans la salle de rédac où il est accueilli par Romuald, le rédac’chef adjoint. Ce dernier lui présente l’équipe. Il y a évidemment Pénélope et Christian, les présentateurs, bien trop concentrés sur la préparation de leurs sujets, pour porter le moindre regard à Guillaume. S’ensuivent Xavier, le monsieur Météo, Arlette la cheffe d’édition, et ses nouveaux collègues « deskers », Nadia, Laurent et Corentin. Tous ont les traits tirés, ils semblent à la fois blasés et au bout de leurs vies. Romuald demande à Guillaume de préparer un sujet sur la politique nationale. Il est un peu décontenancé en s’apercevant qu’il doit enregistrer sa voix devant tout le monde… mais rassuré une fois qu’il a terminé, satisfait et fatigué, car personne ne l’a écouté. En revanche, il n’a fait qu’un seul sujet, alors que les autres en sont au moins à trois… Il va falloir dropper pour les prochaines ! Romuald lui dit que son sujet passera vers 10h. Guillaume rentre chez lui heureux et impatient de s’entendre à la TV. Il s’imagine le fantôme d’Albert Londres qui le félicite…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Evidemment, quand on est journaliste, une BD-reportage qui focalise sur le quotidien professionnel d’un authentique journaliste (TV), ça interpelle… Cette chronique s’apparente donc à une mise en abyme du métier. Avant d’être reporter freelance pour le service public, le journaliste Pierre Millet-Bellando a en effet travaillé sur la chaîne d’infos en continue BFM (de 2013 à 2016), ici rebaptisée news TV, pour épargner bien des susceptibilités. C’est de cette expérience dont il témoigne, à travers son personnage alter-ego de Guillaume. Avec beaucoup d’autodérision, l’auteur fournit un portrait détaillé de la fabrique massive d’images sur un tel média. Comment est fabriqué un sujet ; comment « l’usine » de production en continue fonctionne au sein de la rédac’ ; comment la quête d’audimat prime sur tout (les attentes du public sont plus importantes que la qualité intrinsèque de l’info) ; comment une micro erreur vous relègue à un reportage-corvée ; comment on se retrouve malgré soi un petit-soldat docile du grand cirque médiatique ; comment certains journalistes se retrouvent sous le joug inconscient de leur égo… Au-delà du témoignage précieux, souvent amené avec humour, le journaliste-scénariste brosse un portrait acide de la profession. Le quatrième pouvoir vertueux et humaniste, tel que prôné par Albert Londres – qui apparait en fantôme désabusé – est utopique, de plus en plus illusoire à l’ère de l’immédiateté, du buzz et des réseaux sociaux. Le dessin stylisé et dynamique de Mathieu Lerouge, rehaussé de différentes teintes de bichromies (pour différencier les séquences au présent et les flashbacks) s’avère parfait pour le propos. On peut regretter que l’ensemble ne soit pas plus caricatural et direct sur de nombreux acteurs politiques et médiatiques… mais c’est aussi une façon de mettre de la distance avec le procès fait sur la fabrique de l’info en continue.
