L'histoire :
Début des années 90 : un jeune homme marche dans Olot, petite ville catalane de la région de Garrotxa, et se rend au bar le Pekin où il consomme un café, tout en regardant un épisode de Twin peaks à la télévision. Il est le seul client et s’entiche de la belle et opulente serveuse. Pénétrant son âme, il s’imagine lui faisant l’amour dans un décor fantastique avant qu’une chauve-souris ne vienne interrompre ce rêve. Il ressort, passe devant la statue Moai dans la rue, puis se dirige dans un bois attenant. Malgré l’interdiction d’un panneau, il donne une partie du contenu d’un sac alimentaire flanqué d’un étrange logo à un poisson venant le saluer dans une mare. Des pilules intrigantes et un geste qu’il reproduira au fil des chapitres et des années. Puis il repart dans la nuit. Un second chapitre s’ouvre nous expliquant l’origine du Moai d’Olot. Le troisième, intitulé Le chasseur de sanglier, décrira un épisode sanglant de 2010, tandis que le cinquième Contacté abordera le cas Carles Gasol, un scientifique ayant été enlevé, d’après lui, par les extraterrestres ; et Le vulcanologue celui de Juan Puig, s’intéressant aux volcans d’Olot. Javel, barbituriques et insuline et Le Voyant suivront et boucleront ces chapitres réalistes, le tout dernier reprenant l’épisode du poisson clôturant l’histoire, en couleur cette fois-ci.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quel est le rapport entre Olot, les extraterrestres, les volcans et diverses affaires glauques intervenues entre les années soixante et 2010 ? L’ile de Pâques (Rapa Nui) et ses Moais. Jorge Alderete est né en 1971 en Patagonie et s’est passionné assez tôt pour cette île rattachée à son pays depuis 1966. Spécialisé dans la culture de cette île, il est l‘auteur d’un livre faisant référence (Tike'a Rapa Nui, Rey Naranjo 2018). Il est surtout illustrateur et a commis de nombreuses pochettes de disques pour des groupes garage surf dont il partage l’amour pour la musique instrumentale. Il a d’ailleurs monté son propre label Isotonic records et joue du Theremin au sein du groupe de cumbia psychédélique mexicain (son autre pays depuis 2010) : Solido Gall Negro. Auteur de deux ouvrages rassemblant ses illustrations (Sonorama 1 et 2, 2012 et 2018 La Caja de Cerillos), il a produit aussi en 2014 un premier roman graphique aux éditions Bang (Black is Beltza). Il est aussi galeriste à Mexico. Avec Olot, l’auteur nous embarque dans une sorte de trip mêlant passé et présent, hallucinations et réalité, autour de faits ayant défrayé la chronique de la région. On est tout d’abord fasciné par le dessin (l’art graphique !) du dessinateur, maniant les couleurs et les formes à merveille. Le livre s’ouvre sur une vue de la ville catalane au temps du crétacé, dans un style et sur des couleurs marron et bleu-gris rappelant l’imposant Alpha Directions de Jens Harder. La comparaison s’arrêtera là, car Jorge Alder possède son propre style. Mêlant trames de gris sur de pleines pages pour les passages liant les chapitres, ou aplats de couleurs monochromes sur d’autres davantage documentaires, toujours accompagnées de trames, il propose des pages très aérées, comportant rarement plus de quatre « cases ». Ce genre graphique « explosif », on l’aurait mal vu publié ailleurs qu’aux éditions Tanibis, nous ayant déjà bien habitués à cette direction artistique délicieuse. Côté scénario, l’auteur dévoile un ton lorgnant du côté de Charles Burns, où le fantastique et l’onirique flirtent toujours avec le glauque. Jorge Alderete en profite, grâce à une enquête (on s’en doute) appuyée, pour dénoncer certains crimes commis là-bas, dans cette petite ville où l’on a installé un Moai en format réduit sur une place. Œuvre du sculpteur Rapa Nui Manuel Tuki, elle célèbre depuis 1984 le jumelage entre Anga Roa, capitale de l’île de Pâques et Olot. Véritable pont entre deux cultures pas si éloignées que cela, on l’apprendra, Olot surprend par son étrangeté et son incroyable force graphique. Un O(lot)vni que les amateurs de culture différente gouterons avec appétit !
