L'histoire :
Il nait un peu prématuré, en mars 1956, au PeaceHealth Medical Center de Ketchikan, en Alaska. Par l’ouverture ronde de sa couveuse, il voit ses parents qui s’inquiètent. En janvier 1957, à travers les barreaux de son lit pour bébé, il voit le mur de sa chambre et le hobby qui pendouille du plafond. En juin 1958, par la fenêtre du séjour, il voit son père qui boit un café sous l’auvent de sa maison familiale. Ce dernier regarde le ciel étoilé avec passion. En décembre 1959, par la fenêtre de la crèche, il voit les jeux pour enfants dans la cour. En août 1960, il observe les insectes dans l’herbe, à l’aide d’une loupe. En mars 1961, son papa lui montre un hydravion qui passe au-dessus d’eux, dans une trouée orageuse entre deux nuages. En juin 1962, par une fissure entre les planches du mur de la grande, il espionne sa mère en train d’étendre le linge. En décembre 1963, tandis qu’il prend son petit-déjeuner, il regarde par la fenêtre son père partir dans la neige. En juillet 1964, il assiste à la jumelle à l’amerrissage d’un hydravion sur un lac de Gravina Island (toujours en Alaska). En mai 1965, il n’a pas le droit d’entendre un verdict médical. Il regarde donc le médecin parler à ses parents à travers le rideau en persienne du cabinet. En juillet 1966, par le fenêtre de sa classe, il est une nouvelle fois subjugué par le décollage de l’hydravion local. En septembre 1967, il observe pour la première fois la lune à la lunette astronomique, guidé par son père…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est un exercice d’art séquentiel simple mais jusqu’au-boutiste, auquel s’est livré Tom Haugomat dans A travers. Vous l’aurez peut-être compris à la lecture du résumé ci-dessus, mais l’auteur s’est appliqué à nous raconter la vie d’un homme, de sa naissance jusqu’à sa mort, au rythme strict de deux images par année (de 1956 à 2026) et par double page. Sur la page de gauche, dans un petit dessin centré sur fond blanc, le personnage roux et sans nom est représenté dans le milieu dans lequel il se trouve, en train de regarder quelque chose « à travers » quelque chose d’autre (une fenêtre, des jumelles, des persiennes, un trou, une anfractuosité, un écran, une porte…). Sur la page de droite, on voit donc ce qu’il voit, selon le principe de la caméra subjective, au sein d’un dessin généralement pleine-page, découpé ou composé selon « l’élément » à travers duquel il est regardé. Pour bien insister sur cette notion d’« À travers », l’éditeur s’est même amusé à découper deux ronds – une paire de jumelles – dans la couverture toilée et rigide ! Cette biographie-photo astucieuse d’un quidam est donc muette ; on ignore le nom de ce personnage, on le suit simplement qui se réalise professionnellement dans sa passion pour l’astronomie, puis qui mène une vie de famille, puis qui vieillit… Une vie logique, in fine. L’originalité de l’album tient dans son principe, plus que dans son scénario. Le dessin s’exprime à travers (sic) 4 teintes uniques (orange-roux, bleu foncé, bleu cyan et jaune paille), dénué de détails et sans contours de formes. Minimaliste mais précis, et surtout raccord avec la fraîche singularité de ce livre-objet, qui sort largement des sentiers battus et comblera les amateurs exigeants de 9ème art.