L'histoire :
12 septembre 1942… Jumelles vissées, le « Calife » et deux des officiers de quart observent depuis la nacelle de leur sous-marin le résultat du torpillage qu’ils viennent d’effectuer… Après le joli feu d’artifice, c’est la panique à bord du paquebot : officiers, femmes et enfants tentent désespérément de sauver leur peau… juste avant l’énorme deuxième déflagration qui annonce l’explosion des chaudières du bateau et un nouveau carnage chez les passagers. Les sous-mariniers, quant à eux, sans aucun état d’âme, estiment le tonnage de leur proie : 15 000 tonnes sûrement… de quoi fêter dignement les 200 000 totalisées depuis le début des hostilités. Peu importe que le rafiot soit bourré à craquer de civils, de gosses ou de femmes : les Tommies l’ont une fois de plus dans le cul ! Le lendemain, le réveil est difficile. Et tout comme les autres, Pelosi, le rital de l’équipage, a une casquette en plomb en se levant. Pourtant, il doit rejoindre illico le capitaine sur le pont du sous-marin. Le « Calife » a besoin de ses oreilles. Car entre les injures anglaises proférées par les rescapés éparpillés dans l’océan, on distingue autre chose. Et en effet, Pelosi ne tarde pas à confirmer qu’on crie « à l’aide ! » en italien. Le paquebot anglais torpillé transportait quelques 1800 prisonniers transalpins. Que risquerait alors de dire le gros Benito s’il apprenait que des alliés laissent crever ses hommes en mer ? Le capitaine décide alors d’en faire monter un maximum à bord et de prévenir l’amirauté…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour cette 3éme plongée dans le quotidien d’un équipage de sous-mariniers de la Kriegsmarine sillonnant les océans sous le régime hitlérien, Nicolas Juncker utilise un fait réel de la seconde guerre mondiale : le tragique torpillage en septembre 1942 du Laconia, un paquebot anglais (plus de 1600 morts). L’affaire sera d’ailleurs débattue et les faits jugés devant le tribunal de Nuremberg en octobre 1946... Voilà donc notre équipage, aux psychologies façonnées au vitriol, directement impliqué dans la tragédie pour une description au jour le jour des événements. Quatre jours, donc, de promise cuitée entre rescapés (officiers et civils britanniques, soldats polonais et prisonniers italiens) du naufrage et nos « bons samaritains ». Quatre jours à attendre, à craindre le pire, à faire bouillir une marmite au summum de ses tensions… pour mieux tisonner l’horreur et l’absurdité des conflits armés. Cette fois, c’est Pelosi le membre d’équipage mi-rital, mi-teuton qui porte la responsabilité du récit. Ce « cul entre deux chaises » d’italo-allemand nazi est parfaitement utilisé par le scénario pour démontrer l’imbroglio créé par les thèses racistes du régime fasciste dans les constructions logiques de nos pauvres soldats. Une nouvelle fois, l’exercice proposé par Nicolas Juncker offre une vision à la fois brutale et sans concession de l’inhumanité du régime nazi tout en jouant sur l’ambigüité des comportements de ses exécutants. A nouveau également, dessin (conforté par une excellente mise en couleur) et mise en scène portent impeccablement les tensions du « huis clos ». Pour autant, l’ensemble se veut plus aéré et volontairement moins claustrophobique (l’U-Boot est de fait principalement en émersion). Seul regret du point de vue du scénario : les connexions avec les tomes précédents et les mystères des non-dits sont moins utilisés (les plus affamés pourront cependant, pour ce faire, se rassasier des illustrations des pages de gardes…). Du coup, l’intrigue se veut peut-être plus accessible et ne nécessite pas la lecture des opus 1 et 2. En choisissant ainsi de traiter la série sans aucune linéarité et jouant avec brio la partition des psychologies, Juncker offre de savoureuses perspectives à cette étonnante saga historique. On en redemande, donc !