L'histoire :
Bientôt une heure du matin et une seule ligne sur la machine à écrire sur laquelle il est censé faire naître un roman. Vladimir Principal, rédacteur le jour dans une société d’assurance, essaie la nuit de devenir un célèbre écrivain. Jusqu’alors aucune de ses productions ne s’est vue publiée. Ce ne sera décidemment pas demain la veille : son inspiration semble l’avoir définitivement abandonné. Aussi, laissant enfant et femme dormir, il préfère noyer son désespoir dans une bouteille, au café du coin. L’alcool aidant, il se laisse aller à la confidence auprès d’un vieux barbu étrange, à qui il conte son envie de notoriété. Le bonhomme lui propose d’accomplir son vœu. Il se dit en effet « éditeur de destin ». Celle-ci, elle le fait bien rire, le petit employé d’assurance. Mais force est de reconnaitre que le breuvage que lui fait prendre le drôle de personnage le transporte immédiatement dans un univers où son portrait s’affiche sur tous les murs de la ville : on vante partout son dernier roman à succès, L’âge des corbeaux… Le problème c’est qu’ici, il n’a plus de domicile, plus d’enfant, plus de femme et que son argent ne vaut pas un clou. Et puis surtout, il y a ces 2 drôles d’éditeurs qui vont lui faire subir le parcours du combattant de la promo…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’appel du pied de la couverture n’aura pas longtemps résisté à l’envie de plonger dans la lecture de cet épais one-shot. Preuve s’il en est, de l’impérieuse nécessité pour tout dessinateur de soigner l’exercice comme il se doit. Une fois piégé, il faut bien reconnaitre qu’on se laisse faire assez agréablement par le récit. Décalée, utilisant des ressorts fantastiques, maniant avec beaucoup de finesse humour et absurde, la promenade aux cotés de Vladimir Principal dans cet univers de « 4e dimension » est finalement un petit numéro de psycho-sociologie. D’abord, une douce satire du monde de l’édition et de ses stratégies marketing (nos artistes y auraient-ils vécus quelques déconvenues ?). Ensuite et surtout, une mise sous loupe, via le contexte caricaturo-burlesque proposé, d’une propension exponentielle actuelle, à tout mettre en œuvre pour gagner ces fameuses minutes de célébrité que Warhol nous a prédit (et peu importe la manière de s’y prendre). Notre écrivain en mal d’inspiration s’y frotte, lui, au succès et s’y pique rapidement, pour sentir que sa vie sous les paillettes ne lui appartient plus vraiment. Mais au-delà, il s’agit de découvrir avec lui, que la vraie richesse réside dans le plaisir de créer. Peu importe qu’en gagnant la partie de ce côté là, on reste anonyme à jamais. La démonstration saute ainsi à l’œil, étayée avec divertissement et surtout impeccablement relayée par le travail à l’encre de chine de Jicé. Les noirs et blancs, qui prennent aisément des teintes sépia ou bleutées, sont un véritable moteur d’atmosphère de cet univers sans âge (début de siècle ? années 30 ? 50 ? époque contemporaine ?) et mystérieux. Un petit monde, en tous cas, dans lequel on aimerait se balader à nouveau.