L'histoire :
Un soir d’hiver, un messager dépose une lettre sur le perron de Robert. Il s’agit d’un courrier de remerciements signé de son ami Techno Stypes. Ce dernier annonce qu’il est désormais mort et il joint un chèque de remerciement de 1000 dollars. Rob se souvient de Techno, devenu alcoolique et rongé par l’hépatite au cours de ses derniers mois. Alors que jadis, il émanait de lui un charisme dingue, pour tout son entourage. Techno jouait au foot mieux que personne ; il courrait super vite ; il faisait du skate comme un dieu ; il plongeait de hauteurs vertigineuses ; il se tapait des nanas hyper canons des années en avance sur son âge ; et il retirait une fierté insolente à braver l’autorité. Bref, Techno était un héros. Néanmoins, son appétit pour les combines et le chapardage avait fini par élimer la liste de ses amis. Il traînait dès lors avec une bande de connards qui portaient des chemises en alligator avec le col relevé. Il avait eu plusieurs accidents de motos et de bagnoles, super graves. L’un d’eux l’avait cloué dans un lit d’hôpital à Vancouver pour plusieurs mois. La convalescence avait été longue et pénible. Quand il en était sorti, il avait acquis une addiction pour le cidre de poire et les clopes. Or le pactole des assurances avait permis à ses vices de continuer à être totalement déraisonnables…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec Pear Cider and Cigarettes, l’auteur complet américano-canadien Robert Valley relate la déchéance alcoolique et urbaine (et autobiographique ?) d’un ami junkie, en guise de prétexte pour un pur exercice graphique. D’emblée, le prénom bizarre de son ami héros interpelle : Techno. La narration 100% en voix off est également un parti-pris fort, qui permet en outre au narrateur d’être observateur et non acteur, de ne jamais s’exposer au regard du lecteur. Unique centre de tous les débats, Techno est d’abord présenté comme un jeune qui brûle sa vie à vitesse grand V : super sportif, téméraire, il a tout vu, tout fait et il se tape « un max de chattes ». Logiquement, à foncer dans le mur en klaxonnant, il finit complètement bousillé. La narration est donc une caractéristique du one-shot. Mais son atout premier repose surtout sur ses cases ultra-panoramiques (90% des cases utilisent la pleine largeur de la page, parfois sur double pages) aux effets de profondeur torturée. On a l’impression que l’artiste a déréglé à dessein le grand angle de ses outils informatiques. Au milieu des structures urbaines rigides et détaillées, les bras en caméra subjective s’allongent, les profils se courbent, le vide devient un élément fort… Valley n’a aucun scrupule non plus à dupliquer ses cases, re-filtrées ou photoshopisées, distordues pour accentuer le nébuleux de l’alcool, la plupart du temps surexposées aux ambiances de couleurs chaudes/froides, ou a contrario au noir et blanc. Ce rendu permet de convaincre que dans la personnalité de techno, il n’y a pas de concession possible. Visuellement, même s’il déstabilisera les lecteurs de BD classiques, le résultat infographique est original et convaincant. Le fond trouve juste ses limites dans le propos finalement bien court.