L'histoire :
Un homme en équipement élaboré de course à pied gesticule dans le hall casino d'un grand hôtel de Las Vegas où il semble être connu comme Bradley, un personnage important par le personnel. Il écrit un courrier intime à Robert de Niro, puis part en courant dans les allées, sort et s'enfonce dans le désert, au bord de l'épuisement, comme si sa vie en dépendait. Nul ne peut l'arrêter. Rejoint dans une autre scène - en smoking cette fois ci - par un collègue chargé de lui, il semble être un réalisateur connu, prêt à intervenir à la remise des Oscars. Non, en fait, il est bien dans le désert, toujours, et il court, suivi par une ambulance veillant sur lui... Serait-il plutôt Lance, un champion mondialement connu ? Il va finalement revenir au casino, où il va jouer, encouragé par une gérante du lieu. Toutefois, ayant réalisé qu'il avait perdu l'Oscar qu'il portait sur lui avant de laisser une de ses places, il pète les plombs. Mais qui est-il au final ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Qu'est-ce qui fait courir Bradley, ou Lance, quel que soit le nom de cet étrange bonhomme longiligne, vêtu d’un tissu anti-transpiration et de méga-lunettes sportives vissés sur le crâne ? Comme pas mal de gens que l'on peut croiser dans les rues, suréquipés, est-ce le désir de se dépasser et/ou de s'entraîner à une grosse compétition qui l'anime ? Pourquoi porte-t-il un Oscar dans ses affaires ? Plutôt qu'une célébrité renommée sur le retour, pris dans un cycle destructeur, se pourrait-il qu'il soit un anonyme fabulateur nommé Murray ? Qu'il soit marié, ait un jeune enfant, soit féru de jeux vidéo, de cinéma et de sport, ce gars est, quoi qu'il en soit, un brin perturbé. Connor Willumsen, dans un style fouillé, au trait, dans de grandes ou au contraire très petites cases légèrement encadrées, évoquant celui de Ruppert et Mulot, aplats gris en sus, nous emmène dans un road movie introspectif très étrange. Ce qui s'apparente à un passage éclair dans le milieu archi codé de Las Vegas : ses jeux, ses stars, ses règles, prend la forme parabolique d'une course effrénée, jusqu'à la nausée, pour sortir de tout cela, ou au contraire trouver une place. Murray n'est pas là où on (et sa femme) l'attend, mais partout ailleurs, attendant tout des autres. Son statut ou peut-être une certaine bienveillance – malgré son aspect et son attitude inadaptés la plupart du temps – le voit néanmoins accéder finalement à une sorte de sérénité, noyée dans d'inaltérables questionnements. Le titre original Bradley of Him donne d'avantage la clef de l'énigme : on est ce que l'on est et rien ni personne ne peut nous remplacer, à moins de devenir fou et de se perdre. Un expérimental mais beau récit sur la perte de repères et la confiance en soi, que l’on relira plusieurs fois.
