L'histoire :
Durant sa formation de base dans l’armée canadienne, David Collier, soldat malhabile au physique fragile, dessine dès qu’il en a la possibilité. Repéré par un sergent, il se met à illustrer le journal de la base, The Corwallis Ensign. Vint ans plus tard, toujours fasciné par les artistes de guerre du XXème siècle, et exalté à l’idée de se retrouver lui-même au front, il s’applique à en devenir un des héritiers. Il postule dès lors au Programme d’Arts des Forces Canadiennes, persuadé d’être envoyé en Afghanistan. Mais sa première mission est une déconvenue : il embarque pendant quinze jours pour le NSCM Toronto, un navire allant se ravitailler en carburant. A son retour, saisi d’une culpabilité envers les soldats avec qui il a fait ses premières armes, et frustré de ne pouvoir se glorifier d’être en zone de guerre, il prend, à 42 ans, une nouvelle résolution : réintégrer l’armée de son pays.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Entre nos mains, la première traduction française de cette figure de l’underground canadien qu’est David Collier, dont les œuvres sont publiées depuis les années 90 chez les biens célèbres éditeurs Fantagraphics ou Drawn and Quaterly aux côtés de Seth, Chester Brown ou Julie Doucet. L’influence de Crumb, qui a été le premier à l’éditer dans Weirdo, saute aux yeux dès la lecture des premières pages, au trait strié et aux planches chargées. Il honore, comme son prédécesseur, les codes des illustrés présents dans les journaux américains du début du XXème siècle, afin de mieux les détourner. On retrouve ainsi le goût pour les inserts, l’autonomie de certains strips, le texte omniprésent. Le ton lui-même, verni d’autodérision, nous ramène à la bonne époque des comix alternatifs américains. Le dessinateur se présente en effet dans toutes ses bassesses : maladroit dans ses gestes comme dans ses mots, bavard, soumis à l’autorité, parfois même fourbe lorsqu’il s’agit de ses intérêts. Perclus de naïveté, il subit le décalage inévitable entre sa première expérience juvénile, et son retour teinté d’obsolescence. Mais peu à peu, cet humour se fait prendre à son propre jeu : la loghorrée verbale et les déboires du personnages se font lassants, et le discours sur l’armée de plus en plus ambigü. De par son caractère autobiographique, ce récit laisse en réalité un flou dérangeant concernant l’apologie de la tradition, le culte de l’héroïsme et de la bravoure de l’armée. Si les critiques de l’autoritarisme, de l’infantilisation et de la censure sont aisément repérables, quelle est la place de l’ironie dans sa fierté et sa détermination à prendre part au jeu viriliste ? La couverture, affichant le portrait révéré d’un cochon en habit militaire, annonçait une causticité bien plus mordante…
