L'histoire :
Des fragments de vie construisent une histoire aux accents oniriques. La première séquence, muette, présente une course-poursuite entre chats et chiens errants, dans les rues désertes d’une ville sans âme, typique des Etats-Unis. La ville, lieu de l’anonymat par excellence, est aussi celui où la sociabilité est permise, où les hommes peuvent tout simplement exister. Peuplée de personnages aussi isolés qu’esseulés, la ville offre une infinité de trajectoires possibles : Mildred est une étudiante fauchée, anxieuse et cocaïnomane. Vrej, un arménien à la tenue un peu rustre, cherche l’âme sœur sur Internet. Un professeur dépassé et harcelé par ses élèves, ne cesse de se plaindre, ne sachant quoi faire. Terence, habillé d’un drap blanc, est un fantôme qui accompagne tous ces personnages dans leur quotidien… Phineas, lui, est un adolescent fugueur, qui se réfugie chez ses oncles, deux frères racistes et paranoïaques. Enfin, deux astronautes dépressifs voyagent sans but dans les confins de l’univers… Sublife offre un voyage dépaysant où se mélangent angoisses, rêves et solitudes dans un quotidien très morne…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Voici un nouveau-venu dans la maison Cambourakis : John Pham, jeune auteur américain d’origine vietnamienne. A la lecture du premier volume de Sublife, on sent poindre un réel talent, notamment dans la capacité de l’auteur à créer un imaginaire, tour à tour onirique ou anxiogène. Aussi, le découpage précis et millimétré témoigne-t-il d’une grande maîtrise dans l’art de la narration. Pouvoir d’évocation et déconstruction des séquences sont les vrais atouts de cet opus. Pour le trait, on sent clairement l’influence d’un Chris Ware : un style très épuré dans lequel deux coups de crayons, bien droits, suffisent à camper une ambiance. S’appuyant sur une bichromie élégante (rose saumon et bleu dominants), le graphisme happe la conscience pour la faire voyager entre des mondes variés et éthérés, à la fois terrestres et aériens. La force de cette ambiance est décuplée par les monologues intérieurs de certains personnages, attestant d’angoisses, de questionnements ou de pulsions refoulées. L’auteur, avec grâce, nous décrit un monde familier et néanmoins étrange, où s’entrecroisent névroses et solitudes. On aime donc cet auteur pour sa faculté à proposer un univers singulier. On aime aussi son aptitude à reproduire et à transformer ses influences pour mieux se les approprier. Il en résulte un vrai travail d’auteur, dont la maîtrise graphique et narrative est proprement bluffante. Il reste maintenant à évoluer vers des territoires plus personnels, afin de proposer une grammaire encore plus surprenante, et finalement plus touchante. Ce Sublife laisse en tout cas présager d’une œuvre très intéressante. Alors, John Pham, simple épigone ou digne successeur de Daniel Clowes et Chris Ware ? Pour le moment, un auteur à suivre de près…