L'histoire :
A 20 ans, agent de sécurité un peu névrosé, David Boring s'ennuie dans sa ville mortifère, terrifiante de banalité et de morosité. Il vient de s'installer en ville. Depuis, il a enchaîné conquêtes et rapports sexuels : pas moins de six femmes ! Tout à la fois une manière de tromper l'ennui et d'imiter ceux de son âge (« mes goûts sont ceux de mon temps »). Seulement voilà, il mène une vie sans relief entre la lecture des vieux comics de son père et des aventures insatisfaisantes. Dot, jeune femme lesbienne et confidente, partage son appartement. Fade, narcissique et finalement très ordinaire, Boring refuse inconsciemment de quitter le monde des ados alors qu'il ne rêve que de ça. Peur du vide ? Désamour des responsabilités ? Qu'importe, il apprend un jour qu'un de ses amis, Whitey, meurt sans explication convaincante. Mais sa vie sans aspérité va réellement basculer le jour où, lors d'un déplacement, il tombe nez-à-nez avec son idéal féminin. Bien qu'incapable de la décrire, Wanda est l'archétype de la femme parfaite, l'incarnation de son fantasme féminin le plus secret. S'agit-il là de la fin de l'errance amoureuse et du début d'une passion ? Sans doute trop beau pour être bien réel...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Depuis plus de trente ans, Daniel Clowes creuse un sillon inimitable dans la BD indé américaine. Poétique, cynique, satirique avec des accents potaches, son œuvre déjà bien dense en fait l'un des auteurs actuels les plus intéressants, aux côtés de Chris Ware ou Charles Burns. David Boring, « récit d'aliénation mélancolique », est sans aucun doute l'une de ses BD les plus abouties. Publié sous forme d'épisodes dans le comics Eightball à la fin des années 90, il fut édité dans son intégralité pour la première fois en 2000. Personnage tourmenté par la difficulté du passage à l'âge adulte et obsédé par les grosses fesses, David Boring est un jeune homme sans relief et narcissique qui s'ennuie dans sa morne banlieue, baise pour mieux tromper l'ennui et satisfaire son ego. Il erre sans passion, cumulant les conquêtes amoureuses. Pourtant le jour où il rencontre Wanda, son idéal féminin, sa vie bascule. Ce qui commence alors comme une « simple comédie romantique se révèle être une véritable histoire d'horreur », le récit intimiste se muant en cauchemar glaçant. Et pour cause, l'inattendu se produit. Tout s'enchaîne avec une logique implacable. Une balle dans la tête, un exil sur une île perdue, des meurtres et des disparitions, du terrorisme bactériologique... Au-delà de l'histoire parfaitement maîtrisée dans son rythme, son découpage et ses réflexions, la voix-off, effrayante de détachement, qui conjugue la lucidité de la pensée à la clarté de l'écriture, navigue entre observation clinique du quotidien et analyse sans complaisance, voire cruelle, des attitudes. La psychologie des personnages, elle, est décortiquée jusqu'à la névrose, les mots choisis captant avec une infinie justesse les peurs obsessionnelles, les terreurs sans nom, l'hébétude face à l'incompréhension. Le récit chavire alors dans l'étrange, devient tout à la fois thriller, polar, récit initiatique et chronique du désenchantement amoureux. Clowes va très loin dans la justesse des sentiments, l'observation du réel, la psychologie des personnages, dans une ambiance désabusée, d'une beauté infinie. Tout le récit est irradié d'une pénombre lumineuse, magnifique de mélancolie et d'espoir fantasmé. Aplats, encrages, découpage, tout sublime le graphisme « clowesien » souligné par des niveaux de gris, à mi-chemin entre l'hommage à l'âge d'or des comics et une modernité cartoon très personnelle jouant la fine caricature, toujours détaillé dans les décors et truffé de clins d’œil. Image parfaite du désordre sentimental à un âge où tout est à construire. Clowes ne singe ni le réel ni l'humain, il les désosse, les ausculte et participe à leur révélation. Pour mieux pointer les universelles névroses et peurs existentielles, ou souligner l'irréductible fatalité d'une vie lovée dans l'errance...Le rêve amoureux a tourné à la mauvaise blague et David, condamné à répéter les mêmes erreurs, piégé par une force mystérieuse indépassable, a sombré dans un abîme sans fond. Inépuisable matière, David Boring est une œuvre essentielle de Daniel Clowes, dérangeante et pénétrante. A lire comme un roman magnétique.