L'histoire :
Ce soir, Jimmy fête son anniversaire avec ses potes. La soirée est bien entamée, ça picole et ça se défonce pas mal, avant que commence une séance de projection de films en 8 mm dans la cave. Ce sont des vieux films en noir et blanc, d'un format court, maximum 10 minutes. Le clou du spectacle, sera The Creeping Flesh, un film que Jimmy a réalisé avec son pote Brian. En attendant, les bières et les pétards tournent. Brian, justement, est à l'écart du reste du groupe. Il squatte la cuisine, crayons en mains. Il est totalement absorbé par le dessin qu'il réalise : un homme, lui-même en train de dessiner, mais dont la tête n'a aucun trait, ressemblant vaguement à un cerveau encapsulé. A l'arrière plan, des organismes qui évoquent des méduses ont l'air de flotter dans l'air. Il faut un long moment à Brian pour réaliser qu'il est en train de faire un autoportrait. Les voix, derrière, lui parviennent, le bruit de la fête... mais Brian est complètement dans sa bulle. Ça ne le dérange pas de rester à part. En fait, en cet instant, c'est même ce qu'il préfère. Il est là, à fixer son reflet déformé dans le chrome du grille-pain qui est devant lui, jusqu'à s'y perdre... Dans sa rêverie, il est comme un alien compressé, assis à une autre table, dans un autre monde. Il est tellement perdu dans son image qu'il n'a pas vu approcher une ombre, derrière lui, qui le regarde dessiner. C'est Laurie...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Chaque parution de Charles Burns est un évènement dans le monde du 9ème art. Parce que Black Hole figure au panthéon des romans graphiques, fédérant les lecteurs au-delà de leur préférence pour la BD ou les comic books. Parce que, depuis, il réussit l’exploit d'aborder inlassablement les mêmes thèmes, qu'il décline pourtant avec une richesse constamment renouvelée. Les éditions Cornelius offrent au public français la primeur de cette série, puisqu'il s'agit d'une édition en avant-première mondiale. Alors on retrouve avec ce premier volet toute la singularité des récits de l'auteur. Une nouvelle fois, les protagonistes sont de jeunes adultes, une bande de potes aux goûts underground, avec comme premiers rôles Brian et Laurie, qui se plaisent. Et c'est en nous livrant des éléments de la psychologie de Brian qu'on va voyager au pays de ses délires, qui peuvent être interprétés comme des visions, source et à la fois produit de son inspiration. On se retrouve ainsi par séquences dans la tête de Brian, spectateur de ses curieuses pensées, qui se situent à la lisière de l'inconscient et de la folie. Une nouvelle fois, la symbolique prend une part fondamentale dans le récit, qui comporte plusieurs plans de lecture. Lorsque Brian dessine des choses étranges, c'est Charles Burns qui met en abîme une partie de lui-même. Il est connu qu'il puise son inspiration dans l'iconographie du cinéma des années 50, qu’il met également en scène à l'occasion de passage où « le couple » se retrouve devant un écran de projection. Burns se donne ainsi l'occasion de décliner trois styles graphiques (celui de son récit, celui des dessins de son personnage, celui qui véhicule les films que les personnages réalisent et visionnent), frappés d'une parfaite harmonie. L'histoire intrigue et sa narration installe une forme de rythme lent et cotonneux. Elle dégage autant de réalisme que d'onirisme et produit cette sensation d'étrangeté qui caractérise toutes les créations de l'américain. Son trait est toujours aussi élégant et son jeu de couleurs s'est encore enrichi d'une gamme qui confère aussi à l'ensemble un aspect plus chatoyant que celui de sa dernière trilogie (Toxic, La Ruche et Calavera) ou de Vortex. Alors on entame avec ce tome le début d'un chemin, sans avoir la moindre idée de l'endroit où il va nous mener. Mais avec Charles Burns, ce n'est pas tant la destination qui compte que le cheminement qu'il fait emprunter au lecteur, à l'image du parcours de ses personnages. Fascinant !