L'histoire :
En 1975, l'auteur de BD canadien Chester Brown a quinze ans et vit à Chateauguay, dans la banlieue de Montréal. Dans sa banlieue standardisée, l'ado s'ennuie. Alors qu'il voulait acheter des comics, il tombe par hasard sur des magazines et notamment Playboy, célèbre revue pour adulte arborant des playmates dénudées aux formes généreuses. Un choc pour Chester. Voir des femmes nues dans des positions lascives va vite se transformer en obsession pour Chester. Le dimanche, il se rend donc à l'autre bout de la ville pour acheter ces magazines. Stressé, anxieux, ses mains sont moites et son cœur bat la chamade. C'est fébrile et honteux qu'il décide d'affronter le regard du vendeur. Il achète le magazine mais se tend lorsque le vendeur le glisse dans un sac plastique très fin : les gens vont voir à travers ! Il sort ensuite incognito, habité néanmoins par une honte coupable. Va-t-il être démasqué ? Les choses se compliquent quand viennent à sa rencontre les Smith, ses voisins. Madame Smith est d'ailleurs la meilleure amie de sa mère...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
D'abord publié en 1992 en Amérique du Nord, l'éditeur Cornélius réédite dans une nouvelle version Le Playboy, après celle des 400 coups en 2001. Dans un livre autobiographique, l'auteur canadien Chester Brown y relate sa découverte du sexe et de la pornographie via le papier glacé du magazine Playboy, puis y évoque son rapport malaisé, ambigu à une obsession envahissante. Brown, tiraillé entre ses pulsions dévorantes et la peur d'être démasqué, décrit les états psychologiques traversés après l'achat et la lecture de Playboy : culpabilité, honte, puis dégoût de soi une fois la masturbation consommée. Sans oublier le soulagement ressenti au moment de se débarrasser de son imposante collection lors d'un déménagement. Il relate aussi les stratagèmes de "survie" ou les infinies précautions mises en œuvre pour garder le secret : cachettes dans les bois, numéros jetés dans les poubelles ou le feu, les sacs plastiques et les protections contre intempéries. Brown image cette lutte entre lui et sa conscience par un diablotin à tête de Brown, symbole d'un conflit interne usant et d'un dialogue intérieur obsédant. Avec une précision clinique, Brown évoque les manifestations d'une honte larvée : sueurs froides, paranoïa et fait de son rapport à la pornographie une question de vie ou de mort. Playboy étant à la fois le simple outil masturbatoire d'un ado qui découvre la sexualité et un objet de fascination pour l'ado en quête d'expériences. Le ton, celui de la fascination détachée, froid et neutre, permet à l'auteur de poser un regard critique et distancié en prise avec le réel, partageant une expérience structurante mais angoissante, très commune en fait. Par l'autobiographie, il communique sa peur d'être démasqué et montre comment l'imagerie pornographique a nourri son imaginaire sexuel et façonné sa personnalité. A la fois intéressant et agaçant, on s'interroge notamment sur l'intérêt des notes de fin d'ouvrage : détails inutiles et nombrilistes même si, on le comprend bien, Brown va au bout de sa démarche en se mettant à nu le plus totalement et sincèrement possible. Plus anecdotique que le récent 23 prostituées, Le Playboy en reste un complément honnête pour qui veut creuser la question. Au final, pas de quoi s'exciter non plus.