L'histoire :
L'histoire se divise en deux récits liés, chacun suivant le destin d'un protagoniste particulier :
- Boxeurs : Bao est un jeune paysan vivant avec ses deux frères aînés et leur père, dans un petit village de Chine. Cependant, un jour, les étrangers viennent dans son village et tentent d'imposer leurs croyances. Bao entre alors en résistance, un chemin qui sera marqué par son adoration pour le théâtre et les légendes mais aussi par son amitié avec un certain Lanterne Rouge, membre d'un groupe de résistants et expert en arts-martiaux...
- Saints : Quatrième. Telle est le nom de cette petite fille chinoise qui va vite se trouver projetée à son insu dans le conflit qui va déchirer son pays. Quatrième enfant de sa famille, elle va finir par adopter la religion chrétienne – plus par dépit et par rébellion que par foi – et va devenir une véritable paria aux yeux de ses proches. Désormais baptisée Vibiana, elle a des visions mystiques où une certaine jeune fille en armure qui dit s'appeler Jeanne lui parle et l'enjoint à combattre l'ennemi...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Déchirant, passionnant, intrigant... Les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier le diptyque Boxeurs et Saints tant l'auteur, Gene Luen Yang (que l'on a déjà pu lire, entre autres, avec American Born Chinese) joue sur plusieurs tableaux et plusieurs atmosphères au sein de chacun de ses récits. Si chacune des deux histoires de Boxeurs et Saints démarre à la manière d'un conte chinois, avec sa magie, ses légendes et de l'humour, la figuration des étrangers – des démons ou encore des figures pour la plupart hautaines et méprisantes – préfigure vite le massacre annoncé. La rébellion des Boxeurs fut en effet un événement historique réel qui déchira la Chine au tournant du 20e siècle. Un mouvement nationaliste et xénophobe formé de jeunes gens rompus aux arts martiaux et transcendés par le mysticisme s'opposa violemment à la présence colonialiste en terres chinoises. Malheureusement, entre de jeunes chinois armés de sabres, de carabines et d'une foi indestructible et des corps armés surentraînés, le tournant du conflit ne fit pas un pli. Gene Luen Yang n'entre pas dans les détails du conflit et reste sur le ressenti, disons-le, de pauvres types entraînés par l'élan nationaliste d'un côté et ceux espérant trouver refuge – naïvement – dans la force d'une foi conquérante et impénétrable aux yeux des orientaux. L'ensemble est profondément marqué par le mystique : Bao et ses amis sont possédés par les figures légendaires de l'opéra et de l'histoire de la Chine tandis que Vibiana parle tantôt aux démons chinois, tantôt aux saint européens. L'histoire montrera les désillusions de ces deux idéaux face au sang qui finira nécessairement par couler à flots. Le dessin de Yang est sobre, adéquat et le choix de ses couleurs ne fait que surligner l'éclat des apparitions mystiques (les légendes chinoises comme occidentales) mais aussi et surtout le sang des deux épilogues. Les deux tragédies s’inscrivent à la foi dans les croyances ancestrales chinoises mais aussi européennes (Yang est lui-même un fervent chrétien) à travers de nombreux parallèles notamment dans le parcours de Vibiana/Jeanne avec quelques images fortes ramenant au Calvaire de Jésus. Une oeuvre marquante et violente (en particulier quand elle est ramenée aux faits historiques) dont les rares moments de tendresse et d'humour viennent décupler l'impact des scènes les plus déchirantes (la scène des adieux de Bao à son père qui vous met K.O. en trois cases). Seul reproche : le personnage de Vibiana où l'on sent que Yang a projeté ses propres questionnements mais auquel il n'a pas donné autant d'humanité qu'à Bao. L'histoire de Vibiana, personnage moins complexe que Bao, en devient plus courte et un peu moins passionnante que celle de son vis-à-vis. Une très belle œuvre qui ouvre sur l'histoire, la foi et aussi sur la nature de certains ressentiments et leurs conséquences.